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DE PONTANGES.

Madame de Pontanges sentit tout ce qu’il y avait de sécheresse dans ce mot.

— Rassurez-vous, reprit-elle avec amertume, ma bonté ne s’adresse pas seulement aux êtres disgraciés de la nature, il me reste encore de la pitié pour ceux qu’elle favorise injustement.

Lionel fut atterré de cette réponse. Il ne concevait pas qu’on eût pénétré avec tant de puissance une pensée qu’il n’avait pas exprimée.

Car, depuis un moment, il se disait en lui-même : « Cette femme est absurde ! elle devrait envoyer son mari à Charenton, sa bossue au couvent, et sa tante à tous les diables ! » — en un mot, vivre en égoïste comme lui. — Il se sentit alors inférieur d’âme et mesquin de sentiments devant cette jeune femme, et il la prit en horreur tout à coup.

Mais ce sentiment fut passager, et ce ne fut qu’un éclair de haine… L’amour revint… Lionel leva les yeux sur Laurence.

Qu’elle lui parut belle en cet instant ! Une profonde tristesse se peignait sur son visage ; il s’approcha d’elle et vint s’asseoir sur un canapé à ses côtés.

— Je vous ai fâchée, dit-il, pardon…

— Mais vous n’avez rien dit qui puisse me fâcher.

— Eh bien, qu’avez-vous ?

— Rien ; je vois que ce qu’il y a de bon en moi vous déplaît. Cette idée m’attriste.

— Oh ! ne croyez pas cela. Je souffre pour vous d’une générosité qui ne vous rend pas heureuse ; je gémis de cette existence si misérable, perdue pour vous, donnée à d’autres ; mais je vous aime de l’avoir choisie.

Lionel prononça ces mots avec tant de grâce ; ce mot, Je vous aime, qui n’était là qu’un mot de passage, il le dit si tendrement ; ses beaux yeux avaient une expression si douce, sa voix était si pénétrante, que Laurence sentit toute sa tristesse dissipée.

— Oui, madame, je le répète, dussé-je vous fâcher, ajouta-t-il avec finesse et coquetterie, vous êtes trop bonne, beaucoup trop bonne pour votre famille, pour messieurs vos cousins surtout.