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MONSIEUR LE MARQUIS

Les joues de madame de Pontanges se colorèrent légèrement à cet aveu… car se montrer jaloux, c’est avouer qu’on aime.

— N’est-ce pas qu’il est aimable, mon cousin ? Depuis quatre ans je ne l’avais pas revu, et je ne le reconnaissais pas hier, tant il est changé, embelli. Je me rappelle…

— N’allez pas l’aimer au moins, interrompit Lionel, vous feriez mourir de chagrin lady Suzanne.

— Ah ! il y a une lady Suzanne !… Ne craignez rien, ajouta-t-elle tendrement, je ne l’aimerai pas.

Ils causèrent de la sorte pendant longtemps encore ; plus ce qu’ils disaient était indifférent, et plus leurs voix étaient émues. Jamais Lionel n’avait senti près d’une femme une si douce agitation. Toutes ses pensées étaient amour ; dans chacun de ses projets, il lui donnait sa vie. Cette glace d’égoïsme dont le monde avait frappé son cœur était rompue. Laurence l’élevait à elle ; il devenait bon, noble, généreux et candide comme elle. Les grimaces paraissaient si inutiles près de cette nature élevée, de ce caractère si vrai, qu’il oubliait le monde et redevenait simple de cœur comme un enfant ; et il s’abandonnait avec délices à cette foi nouvelle qui se révélait en lui ; et il s’étonnait, lui, blasé par tant d’amours vulgaires, de retrouver dans son âme fanée une si grande fraîcheur d’émotion. Lionel éprouvait une reconnaissance passionnée pour la femme qui le métamorphosait ainsi ; il ne lui parlait pas de sa tendresse, mais il regardait Laurence avec ivresse, et il se disait à part lui :

Que je l’aime !

Elle — de la voix la plus troublée — parlait de sa visite chez madame d’Auray, des livres qu’elle avait fait venir de Paris, du beau temps qu’il faisait ce jour-là, des choses les plus niaises, les plus inutiles ; mais elle disait toutes ces choses avec un accent qui bouleversait le cœur, avec des regards pleins de flamme et d’inspiration. Elle n’avait pour Lionel aucune parole de tendresse ; mais elle aussi se disait à part, tout au fond de sa pensée :

Que je l’aime !