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DE PONTANGES.

Et tous deux semblaient, d’un commun accord, éviter une explosion de cœur trop violente, retarder de quelques jours encore un aveu trop doux, une émotion trop puissante, se préparer enfin, par l’habitude de s’aimer, à un bonheur que leurs âmes étaient en cet instant hors d’état de supporter.


XIII.

LES JEUNES FILLES.


En arrivant à Bléville, chez madame d’Auray, Laurence trouva mesdemoiselles Bélin qui se promenaient sur la terrasse.

Les deux jeunes filles échangèrent un regard moqueur en l’apercevant.

La mauvaise humeur qu’avait témoignée madame d’Auray sur la disparition de M. de Marny ne leur avait pas échappé. Elles étaient curieuses de savoir comment Lionel serait reçu, et elles se hâtèrent de rentrer dans le salon pour voir la scène qui allait se passer.

Les jeunes personnes, à Paris, celles du moins qu’on élève dans le monde, sont au courant de toutes les intrigues. La première chose qu’on leur apprend, c’est à plaire, et leur coquetterie s’éveille bien avant leur cœur. Leur imagination est corrompue d’avance ; elles savent comment on trompe avant de savoir comment on aime ; elles ne comprennent pas encore ce que c’est qu’une faute, mais elles sauraient déjà la cacher ; elles sont à la fois naïves et fausses, pures et rouées ; de là vient leur innocence sans candeur, et leur impatience du mariage, qui n’est que de la curiosité. Ce contraste de bien et de mal, ce mélange d’expérience anticipée et d’innocence involontaire, est très-piquant ; il leur donne un air spirituel et original qui est souvent trompeur, et l’on est tout étonné par la suite de voir la jeune personne la plus distinguée, la plus citée pour sa gentillesse, ne paraître après son mariage qu’une femme très-ordinaire et sans esprit.

Madame d’Auray reçut d’un air fort gracieux M. de Marny. Son orgueil était blessé mortellement ; elle voulut paraître indifférente, et pourtant Lionel avait cruellement offensé son