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MONSIEUR LE MARQUIS

amour-propre. C’était bien mal à lui d’avoir déserté sa cour ; madame d’Auray tenait beaucoup à ses élégants  ; elle n’aimait pas à voir s’éclaircir son cortège. — Et puis être quittée pour la duchesse de Champigny ! pour cette voisine rebelle qui ne l’avait jamais priée à aucune de ses fêtes ! — quel outrage !

Cette injure était telle, qu’on ne voulut même pas s’en plaindre ; qu’on affecta de recevoir le coupable avec bonne grâce, ce qui convint à merveille à M. de Marny. — Les hommes s’arrangent si bien de notre dignité, et il faut tant aimer une femme pour découvrir qu’elle est fâchée, quand sa délicatesse l’empêche de se plaindre !

Il y avait aussi un peu de méchanceté dans le silence que gardait madame d’Auray sur ce qu’elle avait nommé l’enlèvement de M. de Marny ; et l’extrême discrétion qu’elle mettait à n’en point parler à madame de Pontanges était une malice que Laurence devait apprécier. — Laurence avait cela de malheureux, qu’à force d’esprit elle comprenait toutes les méchancetés dont elle était incapable.

Comme elle se sentait mal à l’aise dans cette maison !

Nulle sympathie d’idées ; des femmes élégantes qui l’examinaient avec malveillance des pieds à la tête ; une conversation que rien n’alimentait ; l’impossibilité de paraître aimable à ces gens-là… un commérage inanimé sur des personnes qu’elle ne connaissait pas ; tous gens qui avaient en parlant une arrière-pensée qui n’était pas un sentiment…

Laurence sentait son infériorité, — car c’est être inférieure que de n’être pas semblable à la majorité d’un salon. — Elle comprit pour la première fois qu’elle était mal mise… elle fut honteuse de sa modeste parure… Elle comprit encore quelle distance il y avait entre elle et les femmes qui l’entouraient, comme élégance, comme habitude du monde ; enfin elle se sentit provinciale… provinciale jusqu’au fond de l’âme ! Et justement c’était là son grand charme, à mes yeux.

Enfin cette visite lui devint insupportable ; elle la termina. Tant d’émotions l’avaient agitée… elle avait besoin d’être seule.

Le souvenir de mademoiselle Bélin la poursuivit péniblement. Mademoiselle Bélin était fort jolie ; puis elle avait cette assu-