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MONSIEUR LE MARQUIS

M. de R…, frappé de sa beauté, la regardait attentivement comme une héroïne à peindre. Il la faisait poser comme un modèle qui pourrait servir dans un de ses ouvrages ; il esquissait d’après elle, dans son esprit, un croquis à la hâte : — ce que fait un peintre de paysage pour retenir un site qui l’a séduit.

La duchesse était gracieuse et coquette ; l’homme de génie était dans son élément, car l’élément du poète est l’encens brûlé par des femmes, — et M. de R… permettait aux femmes d’admirer son génie tout de suite. — Ces succès-là, il les admettait de son vivant.

Tandis que sa vanité se dilatait à ce feu si doux, Lionel et M. Ferdinand Dulac, qui jouaient au billard, rentrèrent dans le salon.

À l’aspect de M. Dulac, la figure de M. de R… se décomposa :

« Lui aussi !


pensa-t-il. Cette femme a donc des prétentions littéraires, qu’elle court ainsi après les auteurs ? est-ce qu’elle fait notre collection ? »

Il se leva cependant, et, s’approchant de Ferdinand :

— Bonjour, mon cher, dit-il ; je vous croyais en Normandie, chez votre tante, la bonne madame Gabilloche ; c’est pour moi une agréable surprise de vous trouver ici.

C’était bien méchant d’apprendre aux nobles personnages parés de si grands noms, qui l’écoutaient, que M. Dulac possédait en Normandie une tante qu’on appelait madame Gabilloche !

Et pendant tout le temps du dîner, ce fut ainsi une petite guerre froide entre les deux génies.

Si l’un racontait une histoire, l’autre l’interrompait aussitôt et s’amusait à le déconcerter.

— Que c’est charmant, Faustine ! disait la duchesse à M. de R…

— Oui, ajoutait Ferdinand Dulac, c’est un petit chef-d’œuvre ; vous avez tiré parti de ce sujet d’une manière étonnante ; vous l’avez pris dans les Mémoires de P… ; mais là c’est lourdement conté ; vous l’avez arrangé à ravir !…

— Ah ! le sujet de cette nouvelle est tiré des Mémoires de P… ? disait la duchesse ; je ne savais pas… C’est charmant…