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MONSIEUR LE MARQUIS

coup d’esprit, elle a tant ri lorsqu’il a raconté l’histoire de cet Anglais ; il l’a contée si bien, cette histoire ! J’aime sa gaieté, elle est douce et fine : il rit comme un enfant ; et puis, au milieu de sa gaieté, un mot de moi le rend triste si vite : c’est qu’il m’aime… Oh ! il m’aime tant ! »

Et ces douces pensées bercèrent son sommeil.

Et pas un remords ne les troubla.

L’idée d’un danger ne lui était pas venue.

Elle ne voyait dans son affection pour Lionel qu’une affection douce sans crime… qu’une sympathie de cœur sans péril.

Lionel n’avait rien demandé qui dût l’éclairer et l’alarmer… le perfide ! Et elle pensait à lui avec une candeur pleine de tendresse.

Nul rêve d’amour ne venait l’agiter ; nul vague désir ne l’inquiétait.

C’est que l’amour, — c’était pour elle un souvenir d’horreur.

Elle ignorait ses troubles, ses délices, ses pudeurs et ses charmes.

Elle ne comprenait pas qu’il y eût du bonheur dans l’amour.

C’est que la première nuit de ses noces avait été une nuit d’épouvante.

Pauvre jeune fille, à seize ans… seule, — avec un fou !

On lui avait révélé l’amour comme un moyen de guérir la démence, non pas comme un bonheur à donner.

Ce fut un médecin, et non pas une mère, qui la conduisit tremblante au lit nuptial…

Tremblante !

Non de cette crainte enivrante qui est déjà le bonheur ! non de cette pudeur inquiète qui est un des pressentiments de l’amour…

Mais tremblante de peur ! tremblante d’un effroi véritable ! pâle d’horreur, comme une victime que le supplice attend, et qui ne trouve de courage ni dans l’exaltation de ses pensées ni dans les sentiments de son cœur.

Pauvre Laurence ! Jeune mariée… elle n’ignorait plus les secrets de la vie ;

Femme, elle ne savait rien de l’amour.