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DE PONTANGES.

province et de n’avoir pas dîné, comme eux, la veille, au café de Paris.

Ce fut comme une chaîne électrique : la même pensée les saisit tous, ensemble, en même temps, et les frappa du même coup… Ils étaient dix, non pas dix convives du même repas, c’étaient des dîneurs séparés qui se connaissaient à peine ; ils se rencontraient là tous les soirs et voilà tout ; mais deux hommes sont toujours assez liés pour se moquer entre eux d’un troisième… et d’ailleurs ils étaient tous Parisiens, et l’ennemi venait de Flandre ! — C’était beau jeu.

— Combien de temps êtes-vous resté à Alger ? demanda Ferdinand.

— Un mois.

— Vous avez sans doute rapporté un bernuch ? dit un autre convive.

— On prononce bournouss, reprit Ferdinand.

— Non, dit quelqu’un, c’est birnouch qu’il faut dire.

— C’est bernuch.

Birnouch !

Bournouss, messieurs !… je parie cinquante louis : bournouss !

— J’en ai justement rapporté trois, dit Lionel, que cette pédante querelle commençait à ennuyer ; ainsi il y en a pour tous les goûts : un birnuch, un bernuch et un bournouss !

— Qu’est-ce que c’est qu’un bernouss ? demanda le plus âgé des provinciaux à son compagnon ; vous savez ça, vous autres jeunes gens… romantiques…

Il y a encore des romantiques en province !

— Oui, mon oncle ; c’est un animal du pays, répondit l’autre avec suffisance… et sans hésiter.

À cette réponse tous les convives se regardèrent, et Lionel continua avec un admirable sang-froid :

— C’est fort estimé, j’en ai mangé… mais je ne l’aime pas…

— Qu’est-ce qu’il dit là ? s’écria M. Bonnasseau qui venait d’arriver ; il a mangé son burnous !…

Un coup de pied qu’il reçut sous la table lui expliqua qu’on mystifiait les deux voisins de province, et M. Bonnasseau, que ce coup de pied rendait à sa finesse naturelle, rassura ses