Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 2.djvu/326

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
320
MONSIEUR LE MARQUIS

Il eut recours à une seconde colère. — Garçon ! cria-t-il plus fort, donnez donc l’huilier ! allons, vite.

— C’est insupportable, dit à son tour Ferdinand avec le plus malin sourire, la salade refroidit.

Lionel vit qu’il était deviné, et il continua avec résignation une conversation qui lui était pénible, mais qu’il ne pouvait changer.

— Oui, répondit-il, je suis resté un mois à Saint-Maur chez un de mes amis.

— Ah ! je connais Saint-Maur ; c’est un beau château, à une lieue de Pontanges.

Il y avait quelque chose d’infernal dans le regard de Ferdinand lorsqu’il prononça le nom de Pontanges. M. de Marny perdit la tête complètement.

— Garçon ! s’écria-t-il, oubliant qu’on n’était point dupe de ses colères, donnez-moi un autre huilier ; votre vinaigre est plein de mouches…

— Des mouches dans le vinaigre ! dit en souriant Ferdinand.

— On ne prend pas des mouches avec du vinaigre, ajouta à son tour Melchior Bonnasseau.

Lionel était au supplice. Son amour était encore pour lui une religion ; il souffrait de le voir ainsi profané par des gens qui ne méritaient pas de le deviner, puisqu’ils n’auraient pu le comprendre. D’ailleurs, son embarras donnait à Ferdinand une supériorité sur lui qui lui était odieuse.

— Allons, je vous fais mon compliment, reprit celui-ci, on doit être fier d’être aimé de cette femme-là.

— Je ne suis pas aimé ! s’écria Lionel.

— Oh ! je ne vous demande pas de confidence. D’ailleurs, ce n’est pas nuire à madame de Pontanges que de supposer qu’elle vous aime… ce n’est pas son mari qui la gêne. Je pense qu’elle l’a choisi pour être libre.

— Vous la connaissez bien mal… répliqua Lionel offensé.

— Quoi ! ne voulez-vous pas nous persuader qu’elle a fait un mariage d’inclination ? dit Ferdinand. — Dieu me pardonne, il prend cela au sérieux ! s’écria M. Bonnasseau. Est-ce que par hasard tu filerais le parfait amour, malheureux ?