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MONSIEUR LE MARQUIS

« Elle ne m’aime plus, se disait-il, et par ma faute ! J’ai joué avec son amour, et je l’ai éteint ! — Peut-être madame d’Auray lui aura-t-elle mal parlé de moi… peut-être a-t-elle revu le prince ! mais il est parti : je suis fou ! et puis elle a montré de la joie en me revoyant ; mais ensuite quelle froideur ! Oh ! ce n’était pas une indifférence affectée, c’était bien vrai… — Elle ne m’aime plus !… mais si elle savait ce que je souffre, elle aurait pitié de moi… »

Alors Lionel se mit à écrire.

Il écrivit toute la nuit, et il se désespérait comme un enfant en écrivant.

Il cacheta soigneusement sa lettre ; elle était très-longue, cette lettre ; Lionel n’était pas de ces gens qui déchirent une page et qui recommencent ; il aurait fait cela s’il se fût agi d’une séduction, il aurait composé une épître bien rédigée, bien à effet ; mais il avait le cœur pris, il aimait, et il s’abandonnait à exprimer ses sentiments sans s’inquiéter de ce qu’ils devaient produire, sans se demander s’ils devaient offenser ou s’ils pourraient plaire ; il écrivait pour soulager son cœur. Toutes ses idées se contredisaient, qu’importe ! Il commençait par de très-beaux mouvements de dignité ; il se résignait à son sort ; il étalait un désespoir noble, calme, qui ne s’exhalait point en reproches ; puis tout à coup il tombait sans transition dans la plus profonde humilité ; et, suppliant les mains jointes, il offrait sa vie, une vie entière de soumission ; enfin il s’abandonnait à tous les élans d’une passion délirante… Mais je ne sais pourquoi je vous raconterais le contenu de cette lettre, inutile à l’intelligence de cette histoire, puisqu’elle ne fut jamais remise à son adresse.

Quand elle fut cachetée, Lionel fit une réflexion fort simple, c’est qu’il n’était pas convenable d’écrire à madame de Pontanges étant chez elle ; que cette petite poste d’un étage à l’autre, et dans sa maison, lorsqu’il pouvait lui parler si naturellement, avait un air d’intrigue qui déplairait beaucoup à Laurence. Il prit alors le parti de lui donner sa lettre lui-même ; mais quand il la revit… cette lettre ne signifiait plus rien.

Donc, il était inutile d’en parler.