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DE PONTANGES.

Cependant Lionel était soulagé… C’était déjà beaucoup que d’avoir exprimé ses sentiments. Il y a même des gens à qui cela suffit, à qui la plainte tient lieu de consolation.


XXIII.

LE CRÉTIN.


Le jour venait de paraître, le temps était superbe.

Lionel, que la fièvre agitait, descendit dans le jardin pour respirer l’air du matin.

Il marcha doucement dans les longs corridors du château, traversa la grande salle à manger, si triste, si humide. Il lui fallut entr’ouvrir un volet pour donner un peu de lumière et ne point se heurter contre les meubles, car personne n’était encore levé dans la maison.

Connaissez-vous rien de plus attristant au monde qu’une maison où personne n’est encore réveillé, un salon qui n’est pas fait, où l’on trouve encore la table de jeu et le trictrac de la veille ; — des cartes et des jetons par terre ; — des épluchures de tapisserie, de la laine rouge et bleue, des brins de soie sur les tables à ouvrage ; — des fins de verres d’eau sucrée dans les angles de cheminée… — des bandes de journaux dans tous les coins, — et des grains de tabac sur toutes les places d’honneur ?

Oh ! cela serre le cœur rien que d’y songer.

Lionel ouvrit la porte du salon qui donnait sur la terrasse ; il passa le pont et se promena un instant de l’autre côté du fossé, en regardant les fenêtres du château.

Tout le monde dormait.

Deux cygnes éblouissants de blancheur vinrent au-devant de lui : on voyait que leur maîtresse les avait accoutumés à venir chercher du pain dans sa blanche main ; mais Lionel n’avait rien à leur jeter, et ils se remirent à voguer dédaigneusement loin de lui.

Lionel contempla longtemps ce vaste édifice empreint de tant de souvenirs. Il s’étonnait de le voir si bien conservé, entretenu avec tant de soin. L’intérieur était incommode et