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MONSIEUR LE MARQUIS

négligé, les appartements étaient froids et mal tenus, et l’extérieur au contraire semblait dans le meilleur état. Le caractère de madame de Pontanges se trahissait dans ce contraste, non pas qu’elle sacrifiât tout aux apparences, au contraire ; mais on voyait que chez elle les plaisirs de l’imagination l’emportaient sur les agréments de la vie réelle. Laurence n’avait pas encore appris à préférer ce qui est commode à ce qui est beau (elle tenait moins au bien-être qu’aux souvenirs) ; les besoins de la pensée étaient chez elle les plus puissants ; et si la salle à manger de son château n’était pas tenue à la mode anglaise, la chapelle, en revanche, aurait fait honneur aux plus riches églises de l’Italie.

Lionel fit le tour du château ; il erra le long des ruisseaux, dans les bois, essuyant la rosée, emportant les blancs cheveux de la Vierge, un des plus mélancoliques ornements de l’automne. L’aspect de ce séjour plein de gravité et de tristesse le consolait. « Une femme qui habite ces lieux toute l’année, se disait-il, ne doit point ressembler à nos vulgaires Parisiennes ; elle doit aimer… aimer naïvement. Ces ombrages ont quelque chose d’imposant, de sérieux, qui défend la coquetterie. On est forcé à la passion sous ces beaux arbres !… »

Et il sourit tristement de cette réflexion. Au bout d’une heure il revint vers le château. En passant le long d’une haie très-touffue qui bordait une assez vaste pelouse qu’on nommait le jardin de M. le marquis, — jardin sans fleurs et sans fruits, où nul étranger n’était admis, — le nom de Laurence, qu’il entendit crier, attira son attention. Il s’arrêta pour écouter.

— Ah ! mon Dieu, dit au même instant une voix bien chère, Jacques, est-ce vous ? Venez vite. Il a pris votre faux, il va se blesser… Venez donc vite ! Quelle imprudence de laisser une faux dans ce jardin !

Lionel, qui n’était point Jacques, ne répondit rien.

Madame de Pontanges appela de nouveau : — Jacques ! François ! François !… Ah ! mon Dieu, personne ! — Puis d’un ton plus doux elle continua : — Allons, soyez raisonnable ; laissez là cette faux… Amaury, tu vas te faire mal ; donne-moi cette faux.