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DE PONTANGES.

Lionel était au supplice ; il comprenait que le pauvre fou avait entre ses mains un instrument qui pouvait le blesser ; il craignait aussi qu’en voulant ôter la faux des mains de son mari, madame de Pontanges ne se blessât elle-même… Mais il ne voyait rien, la haie était si haute et si épaisse ! il ne savait de quel côté leur porter secours.

Tout à coup Laurence jeta un cri.

Lionel aussitôt s’élance et saute brusquement par-dessus la haie, au risque de se casser les jambes. Heureusement il retomba sans accident.

Son apparition subite dans ce jardin mystérieux fut un coup de théâtre.

M. de Pontanges, ou plutôt le crétin qu’on voulait bien appeler M. le marquis de Pontanges, épouvanté à la vue de cet homme qui tombait du ciel pour le punir, jeta sur le gazon la faux qu’il serrait avec opiniâtreté dans ses deux mains, et s’enfuit.

Madame de Pontanges parut anéantie.

— Quoi ! c’était vous, monsieur, que j’entendais marcher… derrière cette haie ?

— Vous vous êtes blessée, madame ? interrompit Lionel.

— Ce n’est rien, reprit-elle ; et ses yeux suivaient avec inquiétude Amaury, qui courait vers le château. Dès qu’il fut rentré dans son appartement, elle parut plus tranquille.

Elle était si honteuse pour lui de l’état d’abjection où il végétait, qu’elle eût voulu le cacher à tous les yeux ; elle souffrait de sa démence ; et son premier sentiment, lorsque Lionel vint à son secours, ne fut pas celui de la reconnaissance, ce fut un mouvement pénible d’embarras. « Pauvre Amaury ! pensait-elle, on va le voir !… »

M. de Marny devina ce sentiment plein de bonté ; et par une délicatesse qu’elle dut apprécier, il feignit de n’avoir vu qu’elle.

— Vous êtes tombée sur cette faux ? demanda-t-il.

— Oui, répondit-elle avec empressement, heureuse de cette explication à sa blessure et dupe de cette feinte erreur. Oh ! je ne souffre presque pas…