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MONSIEUR LE MARQUIS

Et cela au dix-neuvième siècle ! comme disent les philosophes de journaux.

Et l’on ne voudrait pas m’accorder, à moi, dans un roman, un pauvre rêve, un délicieux songe fatal qui trouble la vie d’une jeune femme en lui révélant son amour !

Je reviens donc à mon idée :

Un songe ! me devrais-je inquiéter d’un songe ?
Oui.


XXVII.

EXPLICATION.


Ce songe eut une influence malheureuse sur la destinée de Laurence. Ne pas croire au bonheur, et languir sans espérance toujours, c’est la vie, une vie ennuyeuse, mais supportable encore. Mais avoir entrevu le bonheur, savoir qu’il existe, le croire possible, c’est une tentation irrésistible, c’est un souvenir rongeur qui ne laisse pas à la pensée un jour de repos. Comment rentrer dans une existence insipide après une telle apparition ? comment s’intéresser aux jeux insignifiants du monde quand on sait qu’il existe des joies plus grandes, quand l’âme a compris de plus précieuses délices ?

Le bonheur d’un moment ne peut-il s’oublier !

Il faut envier ceux qui ne croient pas au bonheur ; ils peuvent encore s’amuser, du moins. Il n’y a de gens véritablement à plaindre que ceux qui ont été heureux.

Et Laurence avait compris que toute la destinée d’une femme est d’être aimée. Elle sentait qu’une vie d’indifférence lui serait impossible désormais ; elle espérait encore concilier son amour avec son devoir, mais elle ne songeait plus à combattre. C’était inutile. Elle prit donc la résolution de s’abandonner à son cœur, d’avouer naïvement à Lionel tout ce qu’elle éprouvait pour lui et de se confier à sa générosité.

— S’il m’aime, disait-elle, il ne voudra pas mon malheur.

Elle était bien naïve, la pauvre femme ! Cependant cette