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DE PONTANGES.

candeur eut l’effet ordinaire de toute naïveté sur un esprit corrompu par le monde. Un excès de candeur déconcerte d’abord les grands séducteurs. Il n’y a que les Lovelaces de bas étage, les intrigants en amour qui en abusent ; les hommes d’État, au contraire, l’apprécient. Ils l’étudient comme une rareté, et le respectent quelque temps avec les égards d’un savant connaisseur pour un phénomène qui l’étonne. Ils aiment les femmes honnêtes, non pas parce qu’elles valent mieux que les autres, mais parce qu’ils les trouvent plus piquantes. En effet, elles sont imprévues.

Cette fois, par exemple, M. de Marny fut encore déconcerté.

Il s’était dit : « J’ai fait une faute, je la réparerai… »

Eh bien, il se trouva qu’il n’avait pas de faute à regretter et rien du tout à réparer !

Tous ses calculs étaient déjoués par l’incroyable bonne foi de madame de Pontanges ; il faut dire, à la justification de M. de Marny, que son habileté ne s’était encore exercée qu’auprès des femmes de Paris ; qu’il n’avait jamais combattu en province, et vous savez que le plus habile général en rase campagne est souvent dérouté lorsqu’il lui faut poursuivre des paysans sauvages dans les genêts de la Bretagne.

Toutefois, Lionel était humilié. On l’aimait sans doute, mais c’était malgré lui ; il ne pouvait s’enorgueillir de sa conquête : ses talents n’y étaient pour rien. Ce qu’il faisait pour plaire ne plaisait point ; ce qu’il méditait pour entraîner n’entraînait point.

Il ne savait vraiment pas pourquoi on l’aimait. — Eh ! c’était justement pour ce qu’il y avait d’involontaire dans son amour ; pour sa tristesse qu’il oubliait de feindre, pour la passion qui se trahissait dans ses regards, alors même qu’il oubliait de les adoucir ; pour l’accent de sa voix qui était si troublée quand il croyait ne la rendre qu’indifférente. Lionel était ravissant lorsqu’il voulait plaire ; mais il était dangereux, sérieusement dangereux, lorsqu’il oubliait de séduire.

Quant à Laurence, elle ne l’observait point, elle n’analysait aucun de ses sentiments ; elle ne se les expliquait point ; elle comprenait qu’elle voyageait dans un pays inconnu pour elle et elle se fiait à son guide, parce qu’elle savait bien qu’il lui