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MONSIEUR LE MARQUIS

fallait un guide pour voyager. Tant mieux pour le voyageur si son guide est un honnête homme : toute la question est là.

Touché de cette confiance, Lionel feignit d’abord de la mériter. D’ailleurs, cette situation lui paraissait nouvelle et l’amusait. Quelquefois pourtant, le caractère de Laurence lui semblait incompréhensible ; il ne pouvait expliquer cette alliance de passion et de froideur ; cette femme à la fois si aimante et si sûre d’elle, cette femme toujours armée en guerre contre l’amour, et que l’on sentait pourtant si faible au fond du cœur.

D’ailleurs, les hommes habitués à l’amour empressé des femmes du monde se connaissent mal en passion. Ils prennent les promptes décisions, l’extravagance pour de l’entraînement, et les coups de tête pour des preuves de cœur. Ils ne savent pas que le premier sentiment d’un amour vrai, c’est la crainte, c’est un éloignement plein de terreur pour l’objet qui attire ; c’est un combat involontaire contre le pouvoir qui menace ; et puis un amour vrai comprend dès le premier jour tout son avenir : il est patient parce qu’il se sent éternel, et il trouve dans sa profondeur, dans sa gravité même, une force qui ressemble parfois à de la froideur. On peut se décider très-vite quand on aime à volonté, ainsi que font beaucoup de femmes du monde. Il ne faut pas dix minutes pour arranger une partie de campagne à Saint-Cloud ou à Meudon ; mais il faut de longs préparatifs pour un pèlerinage en Orient, pour une expédition aux Indes. Il faut plus d’un jour pour s’y décider ; on s’y dispose longtemps d’avance, on met en ordre ses affaires, on calcule froidement toutes les chances ; on ne part point légèrement, car on sait que le voyage sera de longue durée, et qu’arrivé au but… on peut mourir. — Mais c’est assez de comparaisons de voyage comme cela. Passons à la botanique et disons : Ces amours qui naissent si vite, ces entraînements irrésistibles ressemblent à ces plantes de serre chaude dont la floraison factice et volontaire est plus rapide sans doute, mais aussi ne doit durer qu’un moment ; tandis que la passion vraie, qui croît avec patience, selon les lois de sa nature, est semblable au rejeton du chêne : il grandit sans aide, avec lenteur ; on le voit longtemps débile et sans feuillage, mais il cache dans ses racines tout un siècle d’avenir.