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MONSIEUR LE MARQUIS

l’avait jeté dans une si grande joie, qu’il lui fallait encore longtemps avant d’être détourné de son bonheur.

Après une longue absence, le plaisir de retrouver l’être qu’on aime est si vif, les yeux sont si réjouis de sa vue, sa voix nous fait tant de bien, l’émotion de notre bonheur est si complète en sa présence, que nous ne pensons pas tout de suite à interroger son amour. Et Lionel fut longtemps joyeux sans deviner qu’on était mal pour lui.

Et madame de Pontanges tremblait devant ce bonheur : elle tremblait de le troubler, elle tremblait plus encore de le partager. Elle sentait une émotion violente qui s’emparait d’elle, et cherchait à la vaincre ; mais elle ne pouvait s’aveugler sur sa faiblesse. Elle se disait qu’un miracle seul pouvait la sauver ; elle voulait gagner du temps, et inventait mille ruses pour retarder l’heure fatale et douce qui devait livrer sa vie à l’amour. Laurence avait recours à des détails vulgaires pour détruire ce qu’il y avait de romanesque dans sa situation ; elle se plaignait du froid et sonnait pour que l’on arrangeât le feu ; pendant ce temps, elle questionnait M. de Marny sur les nouvelles qu’il rapportait de Paris. « Je n’en sais aucune, répondait Lionel que la politique intéressait fort peu dans ce moment. » Alors madame de Pontanges envoyait chercher les journaux qu’elle avait laissés dans sa chambre ; mais Lionel ne prenait aucune part à toute cette activité, rien ne pouvait le distraire de son espérance.

— Je vais dire qu’on serve le dîner dans le salon, dit tout à coup Laurence ; la salle à manger est trop grande et trop froide.

— Oh ! pourquoi dîner ? s’écria Lionel.

— Pourquoi ? répondit madame de Pontanges en riant, parce qu’il est sept heures.

— Eh bien, soit ! dînons ; mais après nous monterons dans votre petit salon. On est si bien là-haut !

— Non, reprit-elle vivement, nous resterons ici…

Que vous dirai-je ? elle se croyait plus en sûreté dans cet immense salon à huit grandes fenêtres, bien solennel, bien antiboudoir, qu’elle ne l’eût été chez elle dans son élégante retraite où tout invitait à s’aimer.