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MONSIEUR LE MARQUIS

spectacles, passant les nuits à jouer ; enfin s’amusant comme un homme au désespoir… Pendant ce temps, madame de Pontanges, non moins au désespoir, est tombée malade d’une fièvre cérébrale fort dangereuse, comme il convenait à la circonstance. Il paraît qu’elle a été un moment très-mal ; mais ce qu’il y a de mieux, c’est que pendant la maladie de la femme, on a oublié le mari. Le pauvre fou n’a plus voulu manger ; sa femme seule avait de l’empire sur lui. Elle n’était plus là, il n’a plus voulu obéir à personne ; il est tombé malade, on l’a saigné : il a arraché l’appareil et s’est ainsi tué par bêtise, pour que sa mort fût digne de sa vie. C’est madame de Champigny, sa cousine, qui m’a conté cela ; et malgré la tristesse de cet événement, elle n’a pu s’empêcher de rire, lorsque la personne qu’elle envoyait chaque jour savoir des nouvelles de madame de Pontanges est revenue en disant : « Madame la marquise va beaucoup mieux ; mais monsieur le marquis est mort !… »

Ferdinand s’épuisait en paroles, en récits, pour retenir M. Bonnasseau plus longtemps près de lui. Sa finesse l’avertissait des intentions de Melchior ; et d’ailleurs la dissimulation trop subite de celui-ci rendait son silence suspect. Le mouvement d’indignation qu’il avait réprimé, promptement, sans qu’aucune raison l’en eût fait revenir, n’avait pas échappé à son ami.

« Je ne puis l’empêcher d’écrire à Lionel, pensait Ferdinand, de lui apprendre la mort de M. de Pontanges ; mais il est quatre heures ; encore quelques moments, le courrier sera parti, la lettre arrivera après le mariage ; c’est ainsi qu’il en doit être. »

M. Bonnasseau, de son côté, brûlait de s’échapper pour aller écrire à Lionel. Dans sa conscience, il croyait, par cet avis, prévenir de grands malheurs ; mais il ne voulait pas s’en aller trop vite, de peur d’être deviné.

— Allons, dit-il, je vois qu’il est temps que je vous quitte pour vous laisser achever vos apprêts…

— Non, restez, il n’est pas tard, la nuit est belle. D’ailleurs, je n’ai demandé les chevaux que pour six heures ; pourvu que j’arrive demain à l’heure du déjeuner, c’est tout ce qu’il me faut : la noce se fait à minuit !