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MONSIEUR LE MARQUIS

beaucoup d’âme, cette petite !… Elle ne manque pas d’esprit ; en la dirigeant bien, elle deviendra tout à fait agréable… Ce serait dommage de la rendre malheureuse… elle m’aime, la pauvre enfant ! elle serait jalouse… Ce serait bien mal… Allons, il faut se résigner… Laurence !… Laurence ! vous m’avez brisé le cœur… vous ne méritez pas qu’on vous la sacrifie !… Chère Clémentine, je ne peux plus être heureux, moi, mais toi !… j’ai juré ton bonheur…

traduction :

— Clémentine est très-jolie, c’est ma femme… ma foi, tant pis !

M. de Marny éprouvait une vive émotion lorsqu’il entra dans la chambre de sa femme. Si Clémentine avait osé lever les yeux sur lui en cet instant, peut-être aurait-elle changé de résolution. Mais l’idée que son mari ne venait à elle qu’avec répugnance était si bien enracinée dans sa tête ; les mots de sacrifice, de pitié, lui inspiraient tant d’indignation et de courage ; elle avait si bien pris son élan pour l’aveu singulier qu’elle méditait, que rien n’aurait pu l’éclairer. Nos préventions ont cela de terrible, qu’elles se fortifient de cela même qui devrait les détruire. — Et lorsque la voix si charmante de Lionel parvint à son cœur, tendre et troublée, au lieu de s’abandonner à une espérance consolatrice, au lieu de se dire : — S’il m’aimait !… Clémentine pensa : — Quelle fausseté !… Et elle s’affermit dans sa résolution.

— Monsieur, dit-elle tout à coup d’une voix nerveuse et saccadée, je vous ai trompé ! je croyais vous aimer, mais, je le sens trop maintenant, ce n’est pas vous que j’aime ! pardonnez-moi…

Et comme épuisée par l’effort que lui avait coûté cet aveu, elle laissa tomber entre ses mains sa tête et fondit en larmes. L’étonnement rendit Lionel stupide.

Ils gardèrent tous deux un moment le silence.

— Cet aveu est bien tardif, mademoiselle ! dit enfin M. de Marny avec amertume ; qui vous empêchait de le faire plus tôt ? Quelle démence vous a fait consentir à m’épouser, si vous ne m’aimiez pas ?