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DE PONTANGES.

lettre a tout changé ! Je la tromperai jusqu’à ce que j’aie les moyens de la rassurer… Je vais la revoir !…

Et il se rappelait le jour où il l’avait quittée, la dernière fois qu’ils s’étaient vus, et cette scène étrange, si vivement empreinte dans sa mémoire… Il revoyait Laurence, pâle, faible, prête à lui donner tout son amour ; il se sentait encore brûler de cette ardeur d’espoir qui l’enivrait alors… il allait retrouver son bonheur perdu… reconquérir la proie qui lui avait échappé… reprendre son doux roman où il l’avait laissé… Il était heureux ; mais il y avait quelque chose d’infernal dans cette joie, dans cet amour flétri d’avance par un désespoir d’avenir.

Lionel cherchait à s’exalter pour se tromper : il sentait son bonheur impossible ; il comprenait que sa conduite était coupable ; il s’étourdissait de son amour pour se cacher qu’il se trouvait haïssable et malheureux.

Enfin, il prit le parti le meilleur à prendre dans une situation inarrangeable… suspendre sa pensée, s’il se peut ; et comme il ne s’était point couché de la nuit, il s’endormit.

Il fallait choisir un chemin de traverse ; on se trompa… ce ne fut que le lendemain, vers dix heures du matin, que M. de Marny arriva au château de Pontanges.

Il n’arrivait ordinairement que le soir. Laurence ne l’attendait pas de si bonne heure.

La veille, elle avait espéré qu’il viendrait. D’abord elle avait éprouvé de l’inquiétude de son peu d’empressement ; puis elle avait réfléchi aux différentes chances qui peuvent retarder l’arrivée d’une lettre, aux inexplicables inconstances de la poste. Elle était bien certaine qu’il viendrait aussitôt qu’il aurait reçu sa lettre, mais elle pensait qu’il était possible qu’il fût quelques jours sans la recevoir.

— Madame, c’est M. de Marny qui vient d’arriver ! dit sa femme de chambre en entrant vivement chez elle de l’air d’une personne qui sait apporter une nouvelle désirée.

Madame de Pontanges rougit, ses yeux étincelèrent de plaisir, et la vivacité de son regard, l’éclat de son teint, formaient un contraste risible avec ses longs habits de deuil.

— Je descends… dit-elle.

— M. de Marny n’est pas encore dans le salon ; il a voyagé