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MONSIEUR LE MARQUIS

jour-là dîner avec lui ; cette femme qu’il aimait, cette Laurence pour qui il avait tout quitté et qui l’avait chassé : ce conflit d’événements avait troublé sa tête. Il sentait qu’une puissance plus forte que sa volonté présidait à sa destinée. Tout ce qu’il méditait se trouvait si naturellement dérangé, il voyait ses projets rejetés si loin, ses plans tellement impossibles à réaliser, qu’il s’abandonnait au courant qui l’entraînait avec l’indifférence d’un homme qui n’a plus foi dans le bonheur et qui n’est plus responsable de sa vie.

Il s’était dit : — Je trouverai Clémentine froide, craintive, triste, embarrassée, et nous aurons ensemble une explication franche, qui, de manière ou d’autre, nous rendra libres tous deux…

Et point du tout, il retrouvait une femme pleine de grâce et d’assurance, l’accueillant avec coquetterie, résistant à ses caprices avec douceur et fermeté, lui parlant presque de ses sentiments pour une autre, qu’il croyait si bien cachés ; l’intriguant comme s’il était au bal de l’Opéra, lui cachant un billet qu’il veut lire, pour mieux piquer sa curiosité ; enfin, à son aise auprès de lui et montrant dans les moindres actions, dans les paroles les plus insignifiantes, un tact, une finesse qu’il n’avait pas encore remarqués en elle : enfin une femme jolie, élégante, coquette, à laquelle il était impossible de parler de séparation.

Placé en face d’elle, à dîner, il rencontra plus d’une fois ses regards, et la joie mêlée de tristesse qu’ils exprimaient l’étonna plus d’une fois.

Il y avait aussi dans les objets qui l’entouraient quelque chose qui agissait sur lui en dépit de lui-même, c’est le bien-être d’une bonne, d’une agréable maison. Clémentine, aux yeux de son mari, s’embellissait des avantages qu’elle apportait dans la communauté, et que personne ne pouvait faire valoir mieux qu’elle. Cela est affreux à dire, mais l’homme le plus romanesque n’est pas insensible aux douces réalités de la vie ; cette jolie maison si fraîche, si élégante, si confortable, n’avait pas fait une légère impression sur les pensées de M. de Marny. On sait à quel point toutes les douceurs d’une existence élégante lui étaient devenues nécessaires par suite de son éduca-