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MONSIEUR LE MARQUIS

Oh ! comme il est triste ce tableau !… qu’il fait rêver !… comme il fait mal !…

On n’a pas besoin d’avoir perdu l’empire du monde pour croire qu’on serait mort là…

Lionel était absorbé… Tout à coup il croit entendre une voix qui dit tout bas : — C’est lui !…

Il regarde et ne voit rien, attendu qu’on n’y voit goutte dans cette rotonde.

Puis une autre voix dit encore tout bas :

— Il est avec sa femme.

— Parbleu ! pensa Lionel, voilà des gens bien fins, s’ils nous voient… Comment font-ils donc ?

Il quitte la place où il était. D’autres personnes la prennent, et il découvre alors que cette seule place était éclairée par un petit rayon qui provenait d’un petit jour dans la toile.

Une émotion singulière l’avertissait qu’un être puissant sur sa vie était là…

Il aurait voulu pouvoir regarder toutes les femmes dans leurs chapeaux… Il y en avait deux surtout qui le tourmentaient. L’une avait une robe d’une couleur claire qu’on pouvait distinguer ; l’autre était grande, vêtue de noir : elle avait l’air d’une ombre. M. de Marny aurait bien désiré suivre celle-ci ; mais il ne pouvait quitter sa femme, qui s’appuyait doucement sur son bras de peur de tomber en marchant dans l’obscurité, et qui d’ailleurs lui parlait…

— Vous qui avez vu ce pays, disait-elle ; est-ce bien exact ?… Vous êtes allé là, n’est-ce pas ?

— À Sainte-Hélène ? dit Lionel en regardant toujours la grande femme noire… Je n’y suis jamais allé qu’en idée !…

Il tourna la tête, et s’aperçut avec un peu de confusion que le tableau avait changé.

La toile représentait en ce moment la Vallée de Chamouny. Dans sa préoccupation Lionel ne s’était point aperçu que la machine avait tourné… et il fallait qu’il fût certes bien préoccupé, car ce changement est assez remarquable, par la petite secousse qu’on éprouve quand le pivot s’arrête.

Sans se rendre compte de ce qu’il sentait, il eut peur que