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MONSIEUR LE MARQUIS

préfère les bals ingénieux où chaque chambre est une métamorphose. Il y a quelque chose de plus artiste là dedans, et puis on est certain que les gens chez qui l’on est aiment à recevoir ; sans cela, pourquoi se seraient-ils donné tant de peine ? Je me plais à étudier les mille ruses qu’il a fallu trouver pour amener un appartement confortable à l’état de bal… Je me demande avec une sorte de curiosité : « Où donc est le piano ? qu’a-t-on fait de l’armoire de Boulle qui était là ? » et quand je les retrouve dans une autre chambre, c’est pour moi comme une surprise, un vieil ami que je reconnais ; et je sais encore une chose, c’est que rien ne forçait la maîtresse de la maison à se déranger de la sorte : donc si elle a pris cette peine, c’est qu’elle y trouve du plaisir. Un petit déménagement intérieur est si agréable ! il a de plus cet avantage, qu’il force à la propreté ; c’est une surveillance ingénieuse dont les domestiques se défient. Vivent donc les bals intimes, sans prétention, où tout le monde se connaît, où l’on n’est pas noyé dans un océan d’étrangers ! Oui, j’aime les bals intimes… quand l’orchestre est bon !

La fête dont il est question ne ressemblait pas à une réunion d’amis ou de famille. Il y avait foule ; les salons où l’on dansait étaient assez animés, mais les autres semblaient tristes et froids à force de luxe et de grandeur. Tout le monde avait le nez en l’air pour regarder les lustres et les peintures. On étudiait les étoffes, on supputait la valeur de chaque chose, et tout cela n’était pas fort amusant. On paraissait très-fier de se trouver là, mais on n’y semblait pas encore accoutumé. Il y avait aussi des envieux et des envieuses qui s’attristaient : or rien n’est plus froid dans une fête que les envieux.

M. de Marny et sa femme arrivèrent. Laurence alla au-devant de madame de Marny avec un empressement à la fois digne et gracieux ; mais quand elle vit l’extrême pâleur de Clémentine et l’expression de profond chagrin qui se peignait sur son visage, elle éprouva une si noble pitié, un remords si pur du mal qu’elle causait, qu’elle sentit le besoin de rassurer cette jeune femme par l’accueil le plus affectueux.

— Venez, dit-elle en lui prenant la main, dans ce petit