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MONSIEUR LE MARQUIS

grâce ! que de noblesse ! Laurence avait alors dans les manières une distinction particulière. Elle n’avait pas éprouvé ce passage subit de la province à Paris qui gâte les femmes en les étourdissant trop vite par un changement trop brusque. Laurence avait habité l’Angleterre avant d’habiter Paris, et ses manières se ressentaient de ce séjour dans le pays du luxe et de la fashion. Elle avait ce mélange de coquetterie froide et de gaieté fine qui a tant de grâce ; ses manières tenaient à la fois de la grande dame anglaise et de l’élégante Parisienne… On pouvait la prendre pour une étrangère, mais pour une femme de province, jamais !

Combien Lionel la trouvait séduisante ! Oh ! c’est maintenant qu’elle a tout ce qu’il faut pour être aimée ! beaucoup de coquetterie, l’air dédaigneux, une grande incrédulité, une franche indépendance, un cœur flétri, une imagination désenchantée, un peu de perfidie dans un caractère très-noble, une belle nature déchue… la voilà parée pour le monde ! — Elle est maigrie, elle est moins fraîche… c’est ce qu’il faut ; elle est élégante et svelte. — Elle n’aime rien ; pas un être ne l’intéresse… c’est ce qu’il faut ; elle est gracieuse pour tout le monde !… Aimez-la vite, messieurs, car elle ne vous le rendra pas ; aimez-la, elle est dangereuse pour tous !… mais bien plus dangereuse encore pour celui qui a flétri son âme, pour celui qui lit dans sa pensée, et qui se rappelle que cette enveloppe légère cache un cœur noble et pur qui fut à lui !


XXIV.

SITUATION FAUSSE.


La passion de Lionel s’augmentait des efforts mêmes que Laurence faisait pour l’éteindre. Elle commençait à s’alarmer. Tant d’amour agissait sur elle en dépit de ses projets. L’émotion de Lionel, en sa présence, était sincère, et toute émotion sincère a son reflet. Laurence cherchait toutes les occasions de se rapprocher de madame de Marny ; elle se réfugiait près d’elle contre le danger qui la menaçait. La confiance de Clémentine lui servait d’égide ; elle se sentait incapable d’en