Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 2.djvu/47

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dans un tiroir de son secrétaire, et le jour où il sortit sans le porter sur lui, il se sentit soulagé comme s’il était libre et débarrassé d’un ami importun.

Dans ses découvertes depuis quelques jours, tout l’avait mécontenté ; il avait appris à se méfier de tout, même des caresses d’un enfant : car l’intérêt, cette lèpre du siècle, nous atteint dès l’enfance, et l’on est effrayé de voir de petites têtes calculer avant de penser.

La veille, M. de Lorville alla voir madame de ***. Sa petite fille, sitôt qu’elle le reconnut, vint à lui, sauta sur ses genoux, et lui dit mille gentillesses. Edgar, surpris et touché de cet accueil empressé, voulut savoir pourquoi cette jolie enfant était si tendre pour lui : il la lorgna. « Caressons-le bien, pensait-elle, il a apporté d’Allemagne de si beaux joujoux à ma cousine ! » Malgré lui, Edgar repoussa l’enfant qu’il caressait, et, dégoûté de trouver dans tous les rangs, à tous les âges, la même pensée d’intérêt ou de vanité, il forma le projet de renoncer à une science qui devenait si monotone, et s’avoua que le talent de pénétrer toutes les idées ne valait pas le plaisir d’être trompé.

Débarrassé de son talisman, il se réjouissait de devenir une bonne dupe, et pensait qu’il allait retrouver tout à coup sa crédulité d’autrefois. Mais il est des secrets qu’on ne possède pas impunément et des ignorances qu’on ne trouve plus.

Son esprit, accoutumé à deviner, faisait à son insu des observations, expliquait ses défiances, traduisait ce qu’on disait, rétablissait des vérités altérées ; enfin M. de Lorville était sans son lorgnon comme nous sommes en l’absence d’un ami qui a de l’empire sur nous. Nous agissons par souvenir ; à chaque événement, à chaque objet, nous nous demandons : « Que ferait-il, que penserait-il, que dirait-il de cela ? » Et nous sommes encore sous le joug de ce caractère despotique, alors même que nous croyons en être affranchis par l’absence.

En revenant de l’Opéra, M. de Lorville passa devant la porte de madame de Fontvenel ; il y vit plusieurs voitures arrêtées, et l’idée lui vint de monter chez elle un moment, quoiqu’il fût déjà tard.

Il y trouva encore beaucoup de monde. Comme il entrait, il