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MONSIEUR LE MARQUIS

dans ma trahison, ni larmes, ni fureur, ni souffrance d’orgueil ou d’amour… Je puis t’aimer sans craindre un reproche ; je puis courir vers toi sans qu’une main m’arrête… et cependant je n’y vais pas… J’ai cette force. Tu m’attends, tu m’appelles, et je reste là… Oh ! c’est mal… »

— Oui, Laurence, c’était bien mal, vous le sentiez vous-même… Je vous accusais, j’avais raison… vous le voyez. Oh ! dites-le, n’est-ce pas que vous avez eu des torts aussi ?… que moi seul n’ai pas été coupable de notre malheur ?…

— Vous auriez dû me deviner, dit-elle ; tant d’amour avait un langage.

— Vous étiez si froide !…

— Vous ne me connaissez pas, Lionel.

Lionel leva les yeux sur madame de Pontanges, une idée subite l’enivra…

— Oh ! mon Dieu, dit-il, si je me trompais encore ! si tant d’orgueil cachait encore un peu d’amour !… Vous écriviez ces pensées brûlantes quand je vous accusais… peut-être que dans ce moment où je vous trouve si cruelle, vous combattez… peut-être que vous…

— Achevez cette lettre, dit-elle.

Laurence préférait cette lecture dangereuse au tourment de se voir deviner… maintenant. Hélas ! il n’y avait plus d’espoir dans son amour…

Lionel reprit la lettre si souvent interrompue ; mais cette fois, en lisant, un autre sentiment l’agitait… — Elle est bien troublée, pensait-il à son tour : oh ! tant de passion n’a pu s’éteindre si vite dans son cœur… je l’aime encore trop, il est impossible que tout soit fini entre nous… la femme qui a écrit cette lettre est à moi.

Il lut :

« Tandis que je me dévore dans des tortures inconnues, tandis que je meurs, tu dis, toi : C’est une femme très-froide, qui calcule tout… — Froide ! froide !… Ô Lionel, si tu étais là !… si tu voyais mes larmes… car voilà que je pleure maintenant… Oh ! que je t’aime, Lionel !… viens, viens… j’ai besoin de ta joie !… »