Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 2.djvu/67

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— Ah ! reprit le général, elle n’est donc plus si dévote ? depuis quand, s’il vous plaît ?

— Probablement depuis la dernière révolution, dit Edgar.

Le général lui sut bon gré de cette malice, et ajouta :

— C’est toujours la vertu à la mode qu’elle choisit. L’année dernière, elle ne s’occupait que de petits séminaristes ; je gage que maintenant elle quête pour les blessés de Juillet. »

Valentine s’étant approchée, on interrompit la conversation par égard pour elle.

Plusieurs personnes arrivèrent. On apporta les journaux du soir ; les hommes se mirent à les parcourir et à discuter sur la politique. Les femmes, après avoir causé entre elles quelques moments, se retirèrent dans le salon de musique et prièrent Stéphanie de chanter. Edgar reconnut cette voix fraîche et légère qu’il avait entendue bien souvent, et il se plaisait à l’écouter tout en continuant sa lecture. Bientôt la voix changea : une des plus mélodieuses romances de madame Duchambge succéda à une jolie chansonnette de M. de Beauplan ; et M. de Lorville, ému des accents pleins de charme qu’il entendait et saisi de la profonde mélancolie de cette voix si belle, voulut voir quelle femme avait remplacé Stéphanie. Il attendit la fin d’un couplet pour s’approcher ; et, étant parvenu jusque auprès du piano, il vit que c’était madame de Champléry ; Edgar s’étonna qu’une personne si froide en apparence, et qui parlait d’une manière brève, eût en chantant une voix si douce et si pleine d’âme. Il fut frappé en même temps de l’expression gracieuse qu’avait pris le visage de Valentine, et il chercha d’où pouvait venir ce changement : il prit son lorgnon et la regarda ; il vit alors que cette émotion qui la rendait si belle venait d’un souvenir de sa mère. Jamais Valentine ne pouvait chanter sans se rappeler le plaisir que cette mère chérie éprouvait à entendre sa voix, et sans se troubler du regret de n’être plus écoutée par elle. Comme Edgar la contemplait dans cette touchante émotion, Valentine l’aperçut, et quitta subitement le piano.

— Il y a encore un couplet ! s’écria-t-on.

— Oui, dit-elle, mais j’en ai oublié les paroles.

Alors, trouvant dans l’excès même de son embarras une