Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 2.djvu/76

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discours, dicté par l’indignation paternelle, retentit aux oreilles de M. de Lorville, et lui prouva que son talisman serait inutile en cette occasion :

— Je ne crains pas de vous le répéter, mon ami, il ne m’est plus possible d’habiter cette maison. Vous connaissez mon Angéline… tendre fleur que j’ai vu grandir à l’ombre, que je cultivai avec toute la sollllicitude d’un père ! Esprit, talent, grâce, beauté, jeunesse, que vous dirai-je ? elle réunit tout ; la nature semblait l’avoir parée elle-même dès sa naissance pour les fêtes de l’avenir, pour les destinées les plus brillantes ; moi-même, par mes soins assidus, par mes nombreux travaux, j’avais su joindre les dons de la fortune à ces prodigalités de la nature ; j’avais su choisir pour elle un époux digne d’assurer son bonheur. Charmé de tant de vertus, séduit peut-être aussi par l’idée de s’allier à une famille honorable dont le chef exerça vingt ans la plus noble des professions, consacra son existence et ses talents à la défense de l’opprimé, aux réparations des injustices, aux réconciliations des familles, enfin à ce qu’il y a de plus saints devoirs dans la vie ! heureux et fier à la fois, ce jeune homme, dis-je, pressait de ses vœux l’époque fixée pour cette union ; il ne manquait pour la voir s’accomplir que le consentement de son père, digne magistrat, qui, vous le savez, habite sous le même toit que nous…

Alors, élevant la voix comme s’il plaidait : — Ce consentement, messieurs, était indubitable ; mes souhaits les plus ardents allaient être comblés ; le bonheur m’environnait déjà de ses prestiges… mon Angéline !…

Puis tout à coup le père indigné, rendu par la colère à la réalité du langage, s’écria avec véhémence : — Eh bien, mon ami, imagineriez-vous ce que fait cette péronnelle ? elle refuse un mariage si brillant, un parti si avantageux : elle s’avise d’aimer sans me consulter, sans l’aveu de ses parents ! elle aime, elle aime ! et devinez quoi, s’il vous plaît !…

M. Renaud ne devinant pas du tout et paraissant n’avoir aucune espérance d’y parvenir : — Que dis-je ! s’écria le père transporté de colère ; qui pourrait deviner une semblable turpitude ! elle aime… je ne puis prononcer ce mot… un journaliste !… mon cher, un journaliste ! un misérable petit jour-