Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 2.djvu/91

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que ne lui en auraient assuré des années de dévouement et de sacrifices.

Les imaginations poétiques trouvent des trésors dans une idée ; les cœurs exaltés ne sont quelquefois épris que des circonstances, et une femme laide dans une situation romanesque leur inspire souvent plus d’amour qu’une beauté admirable dans une situation vulgaire.


XVIII.

Edgar, préoccupé, ravi, ne songeait plus qu’à se rappeler les événements qui expliquaient la situation de madame de Champléry. Il comprenait alors la cause de ce subit embarras qu’on remarquait dans ses manières, et qui souvent lui avait paru suspect. Il sut pourquoi la conversation de Valentine était si vive, si enjouée avec les personnes dont le bon goût la rassurait, et devenait au contraire si froide et si guindée avec celles dont le mauvais ton était redoutable. Il se souvenait de plusieurs mots équivoques dits par elle, qui l’avaient choqué, et qu’aujourd’hui il justifiait si facilement. À ses yeux maintenant tous les défauts de madame de Champléry étaient des grâces nouvelles qu’il chérissait comme des preuves de sa candeur.

« Cette fois, se disait-il, je suis récompensé de ma tendresse ; je n’ai pas été puni d’oser deviner. Je méritais à la fin une découverte heureuse, j’avais jusqu’alors si mal choisi : le secret de mademoiselle d’Armilly était son ambition ; celui de Stéphanie, son amour pour un autre, mais celui de Valentine !… Ô mystère charmant !… Comment se douter aussi qu’une femme se donne tant de peine pour cacher son innocence ! »

Valentine n’avait que dix-sept ans lors de son mariage, qui se décida promptement et d’une manière singulière.

Un matin Valentine était seule et pleurait dans l’ancien appartement de sa mère. On vint l’avertir que M. de Champléry désirait lui parler et l’attendait dans le salon pour lui dire adieu. Elle courut à lui avec empressement.

— Vous partez, dit-elle d’une voix émue ; que vais-je devenir ? Personne ici ne m’aime et ne me comprend que vous.