Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 2.djvu/92

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— Vraiment ? dit M. de Champléry ; qu’elle est gentille ! Personne ne vous aime, dites-vous, est-ce possible ? Je croyais votre belle-mère si bonne et si bien pour vous.

— Oh ! elle est très-bonne, reprit Valentine avec tristesse ; je ne me plains pas d’elle, mais vous devinez… Ce n’est plus la même chose…

— Sans doute, j’entends, interrompit M. de Champléry, voyant les larmes de Valentine prêtes à couler ; mais votre père ?

— Oh ! depuis qu’il s’est remarié, mon père ne me voit plus avec plaisir ; il m’en veut de pleurer ma mère si longtemps, mes regrets l’offensent, il m’évite parce que je suis triste, et je vois bien qu’il ne m’aime plus. Si vous saviez combien je souffre dans cette maison, dans cette chambre où mourut ma mère, et que je vois habitée par une autre ; dans ces lieux remplis pour moi de souvenirs doux et déchirants !… Ah ! je le sens, si je reste ici plus longtemps, j’y mourrai…

M. de Champléry regardant Valentine, fut frappé de l’altération de ses traits. Depuis quelque temps sa langueur augmentait d’une manière inquiétante, et il craignait pour cette jeune fille l’effet d’une si longue douleur. Comme il la contemplait avec tristesse :

— Vous le voyez, dit-elle, c’est à vous seul que j’ose me plaindre, à vous seul que je puis parler de ma mère que vous aimiez tant, et vous me quittez !… Où donc allez-vous ?

— En Italie, les médecins m’y envoient.

— Comment, reprit Valentine, vous seriez malade, vous qui êtes toujours si joyeux ?

— Enfant, dit M. de Champléry avec un sourire triste, l’insouciance est une vertu quand il n’y a plus d’espoir : c’est ce que j’appelle la vraie philosophie ; mais il ne s’agit pas de moi, pauvre Valentine ! Est-il vrai que vous soyez si malheureuse !

— Oh ! oui, dit-elle en sanglot tant, je suis bien malheureuse ! Tout vaudrait mieux pour moi que cette vie de regrets et d’isolement, que cette demeure de ma mère d’où l’on veut chasser son souvenir, que ce tombeau où l’on m’enferme en me disant : Oubliez-la !…