Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 2.djvu/93

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ému du désespoir de Valentine, M. de Champléry réfléchissait au moyen de l’arracher à cette existence si affreuse pour elle ; il resta quelques moments immobile, et comme dominé par une idée dont il combinait toutes les chances.

Tout à coup son visage s’anima, sa résolution était prise, une pensée dont il semblait fier venait de se fixer dans son esprit. L’espoir d’une noble action qui réparerait les folies de sa jeunesse souriait à son imagination. La certitude d’inspirer à Valentine une reconnaissance et une estime sans bornes, le bonheur d’usurper, par un grand acte de dévouement, la première exaltation de ce jeune cœur avant l’amour ; l’orgueil enfin d’être la providence d’une femme distinguée dont il pressentait la brillante destinée, le décidèrent à lui consacrer sa vie, ou du moins le peu de temps qu'il lui restait à vivre.

M. de Champléry, qui avait fait toutes les campagnes de l’Empire, par suite de ses blessures était atteint d’une maladie mortelle qui ne lui laissait aucune espérance de guérir. La mort qu’il avait tant de fois bravée comme soldat sur le champ de bataille, ne l’effrayait pas plus alors qu’autrefois ; et la connaissance de son état désespéré n’avait rien changé à son humeur ; il avait peut-être même un peu plus de gaieté, car l’avenir ne l’inquiétait plus. La certitude d’une mort prochaine lui paraissait presque douce en ce moment, où elle lui offrait la chance d’un sacrifice généreux qui assurait le bonheur d’une autre ; le souvenir de la mère de Valentine l’encourageait encore dans un projet que sa tendresse eût approuvé, et M. de Champléry sentait qu’en les dévouant au bonheur à venir de la fille de sa meilleure amie, ses derniers moments seraient sans amertume.

« En épousant Valentine, se disait-il, je la rendrai indépendante de sa belle-mère, et bientôt ma mort la laissera tout à fait libre d’aimer et de choisir. Je la chérirai comme un père ; je n’irai pas, vieillard égoïste et ridicule, parler d’amour à une jeune fille, dont les beaux rêves sont si respectables, les chimères si imposantes ; je la laisserai pure à celui qu’elle doit aimer un jour, et lorsque après ma mort, un amour digne d’elle assurera son bonheur, elle me nommera avec respect à son jeune époux ; alors elle comprendra la noblesse de mon abné-