Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 2.djvu/94

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gation, et elle bénira dans sa reconnaissance la mémoire de son vieil ami. Ce sera la première fois, pensait-il en souriant, qu’une jeune veuve se remariera sans chasser l’importun souvenir de son premier mari. »

Valentine consentit sans peine à ce projet qui la délivrait de ses chagrins présents, et elle accepta avec reconnaissance un sacrifice dont elle ne comprenait pas toute l’étendue et qu’elle seule avait pu inspirer.

Les personnes douées d’un esprit élevé exercent à leur insu une influence mystérieuse sur ce qui les entoure ; elles jettent, pour ainsi dire, un parfum de poésie dans l’atmosphère qu’elles respirent et dont on s’enivre avec elles. Il est des sentiments mesquins qu’on n’ose pas leur exprimer, des actions vulgaires qu’il ne vient jamais à l’idée de leur proposer. Un caractère noble est une dignité qu’on encense malgré soi. Pour les âmes d’élite, on choisit ce qu’il y a de plus grand, de plus beau, comme on présente aux princes les mets les plus délicats ; on se change pour elles, on revêt les qualités qu’elles estiment, on se grandit pour les atteindre ; et l’on est surpris de concevoir auprès d’elles des idées et des projets entièrement opposés à sa propre nature.

Le monde s’étonna de ce mariage ; mais, voyant M. de Champléry joyeux, plein de soins pour sa jeune femme, on ne devina pas le peu de bonheur qu’il en attendait. Valentine et son mari passèrent une année en Italie ; après quoi M. de Champléry, sentant son heure approcher, désira retourner dans ses chères montagnes de l’Auvergne pour y mourir.

Ce fut une position difficile pour une veuve de dix-neuf ans que de se trouver lancée dans le grand monde avec toute la liberté d’une femme et toute l’ignorance d’une jeune fille. Avec son esprit et son bon goût, Valentine s’en serait tirée facilement, sans la crainte où elle était de voir son secret pénétré par sa belle-mère. Elle redoutait le parti romanesque que la minauderie de madame de Clairange tirerait d’une situation si singulière ; et pour éviter le ridicule que ses élégies jetteraient sur son innocence, Valentine tombait dans le défauts contraire et affectait quelquefois de paraître comprendre ce qu’elle ignorait complètement.