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LE VICOMTE DE LAUNAY.

le pédantisme des chiffons ne nous séduit pas plus que les autres.

Enfin, nous l’avouons, peut-être sommes-nous suspect dans notre jugement, mais nous qui pourtant ne sommes pas de la cour moderne, qui n’allons aux Tuileries que dans le jardin, nous nous sentons une véritable sympathie pour cette jeune femme qui vient se faire fille de France avec tant de courage et si peu d’illusion. Soyez la bienvenue, madame, dans notre beau pays, dans notre hospitalière patrie ! Eh ! ne trouvez-vous pas que nous sommes de bien courtois chevaliers ? Pendant deux mois nous avons parcouru le monde en proclamant à haute voix que vous étiez la femme la plus laide de toute l’Allemagne ; — c’était un mensonge, pardonnez-nous. Nos galants députés vous ont marchandé, pendant trois séances, un million pour votre ménage ; ils vous ont traitée comme leur cuisinière, dont ils rognent le budget et les gages avec tant de plaisir ; — ce sont les idées libérales, pardonnez-leur ! Nos piquants journalistes vous accablent chaque matin des injures les plus grossières, d’épigrammes sans sel, de calembours épais ; — c’est de l’esprit de parti, c’est de l’esprit français, pardonnez-leur ! Vous avez vu l’autre soir votre nouvelle famille rayonnante de joie ; ce n’était pas sans cause vraiment : le roi, votre beau-père, pour la première fois depuis deux ans, avait traversé tout son peuple sans un seul coup de fusil. C’était merveille ; lui-même il en était confondu. Pas un nuage dans le ciel, pas un assassin sur la terre ; ce sont vos beaux jours que ceux-là ! Mais, hélas ! c’est une triste vie que celle dont les beaux jours sont ceux-là ! Oui, madame, vous êtes une femme courageuse, car vous venez chercher en France le désenchantement de toutes vos idées, le démenti de votre éducation ; vous, fille d’un prince d’Allemagne, vous croyez encore à la royauté, et chez nous il n’y a plus de royauté ; vous, jeune fille romanesque, vous croyez encore à la dignité de la femme, et chez nous la femme n’a plus de prestige, sa faiblesse même n’est plus une religion ; on l’insulte bravement, on l’outrage sans honte comme si elle pouvait se venger. Vous, enfin, élève de Gœthe, vous que le grand poëte a bénie, vous à qui l’Homère germain a prédit une si brillante destinée, vous qu’il a nourrie