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LETTRES PARISIENNES (1837).

de fictions et d’harmonie, vous croyez encore à la poésie, et nous n’avons plus de poésie ! Interrogez les échos de votre palais, ils vous diront que les mots français ne riment plus : demandez à vos augustes parents ce que sont devenus tous nos grands poëtes ; parlez-leur de Chateaubriand, du sublime auteur des Martyrs, ils vous diront que c’est un légitimiste, leur plus redoutable ennemi ; parlez-leur de Lamartine, ils vous répondront que c’est un député qui vote quelquefois pour eux ; parlez-leur de Victor Hugo, ils vous diront qu’ils ne le connaissent pas ; car il faut rendre justice à notre royauté moderne, elle est en tout bien digne de la poésie du pays ; c’est la prose couronnée ; le règne des trois couleurs n’admet comme art que la peinture ; et Racine, de nos jours, serait obligé de barbouiller quelque emblème dont ses vers seraient la devise, pour faire arriver son nom et sa pensée jusqu’au pied du trône de Juillet. Ainsi donc, pauvre jeune femme ! dites adieu à vos rêves de grandeur et de poésie ; en France, il n’est plus de princesses ; en France, il n’est plus de poëtes ; chez nous, vous ne serez ni flattée ni chantée ; à notre cour vous n’êtes pas plus grande dame que la plus humble femme du pays ; mais aussi, comme elle, vous connaissez un bonheur que les princesses sacrifiées ignorent : vous aimez, vous êtes aimée ; consolez-vous, avec l’amour vous retrouverez la poésie et la royauté.


LETTRE QUATORZIÈME.

Dédain de convention. — Fêtes populaires. — Définition du bonheur. — La princesse Hélène. — Victor Hugo.
14 juin 1837.

Il y a des gens qui ne savent faire de l’élégance qu’avec le dédain, qui s’imaginent que dédaigner c’est régner, et qui croient se montrer hommes comme il faut en affectant de s’ennuyer des plaisirs du peuple. À toutes choses ils vous répondent : « Comment ! vous allez là ? Quoi ! vous vous amusez de cela ? » À les entendre, on dirait que la vie a pour eux des plaisirs à part, des joies d’élite, des parfums de faveur, des délices exceptionnelles ; on se sent humilié en les écoutant, on