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LETTRES PARISIENNES (1837).

vrais chevaux qui ont une volonté, des caprices, qui se cabrent sincèrement, qui marchent debout, comme le cheval d’Abd-el-Kader, et auxquels on fait faire toutes sortes de manœuvres ; de jeunes cavaliers qui ont de magnifiques costumes de théâtre et qui n’ont point l’air d’acteurs ; et puis des femmes véritablement jeunes et tout à fait jolies, et réellement vêtues de ce long habit de cheval qui est si gracieux, et non de ces folâtres tuniques de danseuse si outrageusement légères ; et puis des difficultés gracieuses, des tours de force toujours heureux ; point de cercle en papier, pas la moindre aune de toile, pas un entrechat, pas une grimace aimable et pas un seul baiser ! Ceci est inappréciable. Mademoiselle Caroline mérite tous les applaudissements qu’elle reçoit ; la contredanse des huit chevaux est ravissante, la valse est délirante. Bravo ! Tivoli, bravo ! Tout Paris voudra voir le grand carrousel, et plus d’un étudiant imitera ce brave jeune homme qui entra un soir à Tivoli sans billet, en disant avec assurance : « Je suis Tivoli fils », comme on disait Franconi père. On le laissa passer.

C’est là qu’il faut aller pour étudier les modes nouvelles ; c’est là que les plus belles femmes se donnent rendez-vous. Quelle élégance, quelle fraîcheur dans toutes ces parures ! Comment se fait-il qu’il y ait tant de différence entre un chapeau rose et un chapeau rose, entre un mantelet noir et un mantelet noir, entre une jolie femme et une jolie femme ? L’autre jour, au Théâtre-Français, par exemple, les femmes étaient mises comme l’étaient hier soir les femmes à Tivoli, mêmes capotes, mêmes mantelets, mêmes robes de mousseline blanche, et pourtant il y avait entre l’élégance de celles-ci et la tournure de celles-là la distance qu’il y a entre la rue du Faubourg-Saint-Honorè et la rue du Faubourg-Saint-Denis ; et il nous serait impossible d’expliquer ce qui faisait cette énorme différence, à moins de recourir au fameux je ne sais quoi de Fénelon, à ce cri de désespoir de l’éloquence découragée, pour faire sentir une séduction que l’œil et la pensée peuvent comprendre, mais que la parole ne peut définir.

Au bal de l’hôtel de ville, on a remarqué plusieurs robes noires brodées en rouge ; le dessin imitait des racines de corail et des flammes ; nous sommes peu partisan de ce genre de pa-