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LETTRES PARISIENNES (1837).

vent une jalousie vague, une inquiétude humble qui les rend envieuses d’avance. Cette appréciation, cet instinct d’une rivale à venir, les fait s’armer sans guerre, se parer sans fête, et leur inspire cette malveillance factice qui les fait paraître méchantes, et qui n’est que de la crainte ; cette coquetterie laborieuse, cette gentillesse volontaire qui les fait paraître coupables, et qui n’est que de la modestie. Voilà les défauts que leur prête le monde et qu’elles perdent loin de lui. Bref, ne vous étonnez pas si vous découvrez que la femme qui vous a tant déplu cet hiver par ses airs moqueurs, par ses propos de mauvais goût, est justement, à cent cinquante lieues de Paris, la femme que vous rêvez. Eh ! comment ne l’avez-vous pas plus tôt reconnue ? Ah ! c’est que les jours où vous alliez chez elle une petite vanité l’occupait : elle attendait la femme d’un grand personnage, une jeune lady à la mode, ou le héros du jour ; si elle habile la Chaussée d’Antin, elle attendait M. le duc d’Or…, ou M. le duc de N… ; si elle habite le faubourg Saint-Germain, elle attendait le prince de M… ; et cela sans ambition, sans amour, mais par élégance. Cela suffisait pour vous séparer tous deux ; cette grande préoccupation était entre vous. Madame de Staël avait raison de dire : « Une prétention est un tiers. » Oh ! que c’est vrai ! il n’y a point de tête-à-tête dans un salon où règne la vanité.

Nous avons retrouvé la grande cité fort animée ; les plaisirs s’apprêtent avec zèle pour cette brillante saison qu’on appelle l’hiver. Quelle activité sur les boulevards et dans les rues ! Il y a plusieurs années, alors que la manie des constructions dominait tous les esprits, on disait que Paris ressemblait à une ville prise d’assaut par les maçons ; aujourd’hui l’on pourrait dire que c’est une ville fantastique envahie par les sorciers. À tout moment, vous êtes étouffé par une odeur infecte, par une épaisse et noire fumée ; à tous les coins des boulevards, vous voyez d’énormes chaudières sur de grands feux qu’attisent de petits hommes à figures étranges. Nous avons compté jusqu’à douze chaudières sur le boulevard ; aussi il fallait entendre tousser les passants, suffoqués par la fumée : c’était un rhume universel ; toutes les voix s’unissaient dans une seule et même quinte, qui commençait rue de Grammont et qui finissait rue