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LETTRES PARISIENNES (1838).

« C’est peut-être du dîner qu’il parle, et non des convives ; il aura un pâté de Strasbourg, de Toulouse, ou un chevreuil qu’il a tué lui-même. »

Le faux Anglais revint alors vers notre ami. « Je tiens à vous, reprit-il ; vous viendrez, n’est-ce pas ? Nous aurons un service d’argenterie tout nouveau, à la mode, mon cher, à la dernière mode, la mode anglaise ; vous verrez, c’est magnifique. » Et le jour du dîner il ne fut plus question que du service pour lequel le repas était donné.

Chez de nouveaux mariés, nous comprenons cet enfantillage ; il nous plaît : tout est gracieux dans un jeune établissement, tout parle d’avenir ; chaque objet du ménage est un gage d’union. Cette joie du luxe n’est pas de l’orgueil, c’est le premier plaisir de la propriété, c’est la vie intime, c’est la famille, c’est quelquefois même l’amour. Comme on l’aimé, cette argenterie, et ce beau linge damassé, qui vous appartient en commun avec le jeune homme que vous appeliez hier monsieur, et qui vous nommait avec respect mademoiselle ! Comme tous ces objets grossiers du ménage deviennent poétiques quand ils vous installent dans votre bonheur, quand ils viennent à chaque instant du jour vous prouver que vous êtes unis pour la vie et que vous avez le droit de vous aimer !… Oh ! nous permettons aux jeunes gens de nous parler de leurs ménages, car c’est nous conter leur bonheur ; mais nous ne donnons pas la même liberté à de vieux époux qui se trompent depuis vingt années, si toutefois un mensonge peut parvenir à un âge aussi avancé. Au surplus, le pédantisme de l’élégance n’existe que chez les quasi grandes dames, que dans la petite fashionabilité. Vous ne le trouverez ni chez la duchesse de N…, ni à l’ambassade d’Angleterre, ni chez madame de Fl…, ni chez madame de Roth… surtout, dont la poétique demeure a plutôt l’air du palais d’un artiste enrichi que de l’hôtel d’un millionnaire ; mais vous le trouverez infailliblement, ce luxe agité, élégance soupçonneuse et inquiète, confortable insupportable, en ce qu’il est surnaturel et violent, dans tous les salons où l’on n’a pas encore eu le temps de s’y accoutumer.

Ô l’ennuyeux pays que celui des prétentions ! que faire contre un ennemi qui s’arme des plus belles choses et qui vous les