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LE VICOMTE DE LAUNAY.

rend odieuses du moment qu’il les a touchées ? Les fées malveillantes autrefois disaient : « Cet enfant aura toutes les vertus, tous les dons ; mais il aura tel défaut qui détruira toutes ses bonnes qualités… » Eh bien, le mauvais génie de la France lui, a dit la même chose : le ciel lui avait accordé toutes les grâces, toutes les puissances, toutes les beautés ; l’esprit, la science, le courage et la raison… et puis voilà le génie malveillant qui est venu et qui lui a donné le défaut qui les gâte toutes, la prétention de tout cela, c’est-à-dire la fatuité, le pédantisme et l’exagération ; la manie qui amène le ridicule, le pathos qui amène le dégoût et l’abus qui amène la réaction. Aussi, chaque fois que nous voyons une amélioration s’introduire chez nous, malgré notre passion du perfectionnement, nous nous affligeons du progrès ; car nous sentons que bientôt cet usage qui nous plaisait, et que nous avions nous-même adopté, va nous devenir insupportable par l’application ridicule qu’on va en faire et par la niaise importance que l’on va y attacher.


LETTRE CINQUIÈME.

Il y a deux Frances. — Les paresseux agitateurs et les travailleurs insouciants.
Les mauvais sujets réformés, professeurs de moralité.
8 février 1839.

L’aspect des salons de Paris est étrange en ce moment ; ce carnaval manqué a des allures de carême qui sont toutes nouvelles. On s’inquiète ; décidément l’horizon politique s’obscurcit. Ceux qui n’ont rien à perdre, et qui espèrent gagner, se frottent les mains ; ils vous regardent d’un air très-fin en disant : « Il y aura du micmac ! les affaires se gâtent ; je ne voudrais pas être à la place d’un tel ; il se passera d’ici à peu de temps de grandes choses… » Ceux qui ont de belles propriétés, et qui ne peuvent que perdre à tout changement, commencent à avoir sérieusement peur. « Où allons-nous ? s’écrient-ils avec angoisse ; où ces brouillons vont-ils nous mener ?… » — Où vous voulez, sans doute, puisque vous leur donnez le droit de vous conduire. La France est divisée en deux nations, ou plutôt il y a deux Frances : l’une faible et active, l’autre puissante et