Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 2.djvu/380

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— Juste ciel ! quand je disais : Le blé est utile parce qu’on le mange, et puis : Le blé est utile parce qu’on le cultive, j’émettais, sans m’en douter, ce torrent de principes ?

Par la sambleu ! Monsieur, je ne croyais pas être
Si savant que je suis.

— Tout beau ! vous n’avez dit que deux principes, et moi, je les ai mis en variations.

— Mais où diable en voulez-vous venir ?

— À vous faire connaître la bonne et la mauvaise boussole, au cas que vous vous égariez jamais dans le dédale économique. Chacune d’elles vous guidera, selon un orientement opposé, l’une vers le temple de la vérité, l’autre dans la région de l’erreur.

— Voulez-vous dire que les deux écoles, libérale et protectionniste, qui se partagent le domaine de l’opinion, diffèrent seulement en ceci, que l’une met les bœufs avant la charrette, et l’autre, la charrette avant les bœufs ?

— Justement. Je dis que si l’on remonte au point précis qui divise ces deux écoles, on le trouve dans l’application vraie ou fausse du mot utilité. Ainsi que vous venez de le dire vous-même, chaque produit a deux espèces d’utilité : l’une est relative au consommateur, et consiste à satisfaire des besoins ; l’autre a trait au producteur, et consiste à être l’occasion d’un travail. On peut donc appeler la première de ces utilités fondamentale, et la seconde occasionnelle. L’une est la boussole de la vraie science, l’autre la boussole de la fausse science. Si l’on a le malheur, comme cela est trop commun, de monter à cheval sur le second principe, c’est-à-dire de ne considérer les produits que dans leurs rapports avec les producteurs, on voyage avec une boussole retournée, on s’égare de plus en plus ; on s’enfonce dans la région des priviléges, des monopoles, de l’antagonisme, des jalousies nationales, de la dissipation, de la réglementa-