Page:Œuvres d’Éphraïm Mikhaël (Lemerre, 1890).djvu/237

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Dans le wagon, inconscient et prostré, il regardait défiler les grands pays vides. Tout le jour, un long cortège de champs passa. Ce furent des plaines d’ocre et d’or, des vallées vertes et rousses, toute une mêlée de fleurs, d’herbes et de ramures. Et Ruimond se calmait peu à peu comme si la paix des campagnes entrait en lui. Sa pensée redevenait plus nette. Comme des voyageurs bavardaient tout près et nommaient fréquemment leurs villes, en une joie de rentrer chez eux, Pierre songea aussi à la maison paternelle. Il tâcha de se la représenter ; car jamais il n’avait vu cette maison où il allait maintenant vivre. Et il s’attrista d’ignorer même la douceur des bons retours par des routes connues, le long des haies anciennes qui semblaient fleuries de souvenirs.

Son père, né d’une race de marchands aventuriers, avait toujours vécu hardiment errant. Veuf maintenant, il s’était fixé là-bas sur la côte biscaïenne, parmi des pêcheurs et des caboteurs. Et il vivait assez péniblement en armant pour eux de petites barques. Parfois il était venu à Paris où son fils demeurait depuis plusieurs années. Mais Pierre n’avait jamais entrepris le voyage vers le port espagnol.