Page:Œuvres d’Éphraïm Mikhaël (Lemerre, 1890).djvu/246

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

regard augural l’horizon et la mer : elle épiait comme pour des présages les oiseaux en fuite dans le soir.

Cependant, quand elle avait longtemps souri à la mer, elle se retournait paisible et simple et elle causait. Mais Pierre, troublé d’un ineffable malaise, lui répondait à peine.

Le vieux Ruimond s’était depuis de longs jours accoutumé à la folie de sa fille ; bien qu’il en souffrît beaucoup, il semblait l’oublier dès que Magdeleine parlait raisonnablement de choses terrestres, et il s’entretenait avec elle sans arrière-pensée des menues affaires domestiques. Mais Pierre de jour en jour s’épouvantait davantage. Cette vierge hiératique jetait sur lui une ombre divine ; il frissonnait parfois devant elle comme si le froid d’un glacial sanctuaire l’eût saisi. Depuis son enfance, il avait oublié le surnaturel comme une chose morte, effacée, à jamais abolie. La raison l’avait envahi, impérieuse et têtue ; désormais il ne pouvait plus tourner la tête vers les religions. Certes, tout son cœur d’artiste se soulevait aux plaisanteries des imbéciles athées. Mais il n’avait jamais considéré la divinité que comme une matière d’art et de rêve. Il avait pour les mystiques une