Page:Œuvres d’Éphraïm Mikhaël (Lemerre, 1890).djvu/277

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avec des douceurs de malade. De temps en temps la mère caressait d’un geste son fils, et tournait vers lui des yeux troublés de tendresse ; et d’une voix infiniment douce et dolente elle murmurait le nom de l’enfant : « Joël, Joël ! » Mais elle ne lui parlait guère. Elle allait, paresseuse, comme lasse d’être, et souvent elle frissonnait un peu ; on eût dit qu’une incurable peur était en elle. Elle avait une étrange façon craintive de regarder les gens. Quand elle rencontrait à l’improviste, en ses vespérales promenades, quelqu’un de ses serviteurs, garde-chasse ou jardinier, elle se rejetait brusquement vers les taillis pour le laisser passer, et, tandis qu’elle répondait aux obséquieux saluts du passant, ses yeux, mystérieusement, s’effaraient.

Ce soir-là, dans le blême crépuscule, des cloches au loin avaient sangloté. Elles sonnaient, douloureuses et brutales, et elles semblaient secouer sur le pays des souvenirs noirs. Alors, comme si les glas évoquaient plus cruellement en son âme le regret de ses morts, la veuve attira vers elle son fils et narra les sanglantes annales de leur maison. Joël jusqu’à ce jour n’avait rien su, on le jugeait trop