Page:Œuvres d’Éphraïm Mikhaël (Lemerre, 1890).djvu/79

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Voici qu’ils sont tombés, les beaux gardiens du Verbe
Qui veillaient le trésor des secrets fabuleux.
On les a prosternés la face contre l’herbe
Pour ravir à leur mort l’amitié des soirs bleus.

Et des mains de bouffons se traînent sur la lyre ;
Les hymnes sont souillés par des voix de valets,
Et tous, chiens offusqués par le nard et la myrrhe,
Hurlent d’horreur devant la splendeur des palais.

Fugitif et donnant à la terre natale
La bénédiction de son sang précieux,
Le survivant de la tribu sacerdotale,
Le dernier des voyants jette un cri vers les cieux.

« Dieu de la nuit, le ciel est plein de mauvais astres
Dont le regard haineux fait mourir les cités.
Voici le jour sanglant des suprêmes désastres,
Et je vous parle seul dans des champs dévastés.

« Cependant, comme au soir des jeunes allégresses,
Je m’enivre en fuyant des parfums vespéraux,
Et le cœur tout meurtri de divines tendresses,
J’ai peur de pardonner, Seigneur ! à mes bourreaux.

« Je suis le prisonnier de la forêt magique ;
J’adore malgré moi les horribles vergers
Dont les rameaux ont bu dans le printemps tragique
Le sang mystérieux des justes égorgés.