Page:Œuvres d’Éphraïm Mikhaël (Lemerre, 1890).djvu/80

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« Et je souffre d’aimer encor la gloire infâme
De la terre déchue et du ciel avili.
Je pleure de sentir descendre sur mon âme
Comme une brume d’or le pacifique oubli.

« Ô mon Dieu ! sauvez-moi des fleurs crépusculaires
Et laissez-moi m’enfuir des pays bien aimés.
Je veux savoir la joie immense des colères,
La royale rancœur des lions enfermés.

« Comme un chasseur qui vient raviver sous sa lance
L’ancienne cruauté des monstres endormis,
Irritez-moi, troublez ma bonne somnolence,
Que je puisse à la fin haïr mes ennemis.

« Et quand ils sortiront des demeures pillées,
Emplissez-moi le cœur de désirs ténébreux,
Pour que je veuille enfin, de mes mains réveillées,
Faire crouler les rocs des montagnes sur eux. »

Il dit ; et le jour vient, et le honteux cortège
Des étrangers remplit la plaine et le ravin ;
Et le conquérant dort, stupide, sur le siège
Du char royal sali de poussière et de vin.

Mais ces hommes sont beaux sous le soleil qui dore
Les cuirasses de bronze et les riches cimiers
Dans la campagne en fleurs où le vent de l’aurore
Incline devant eux les lys et les palmiers.