Page:Œuvres d’Éphraïm Mikhaël (Lemerre, 1890).djvu/81

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Alors, respectueux et doux, le dernier Mage,
Contemplant les chevaux cabrés dans la moisson,
Semble un vieux serviteur courbé pour rendre hommage
Au maître vénéré qui rentre en sa maison :

« Salut, voleurs épris de gloires insensées,
Lâchés dans les blés mûrs comme de lourds taureaux !
Gloire à vous, meurtriers des blanches fiancées,
Car le soleil levant vous égale aux héros.

« Vous chevauchez pareils aux dompteurs des Chimères,
Aux blonds libérateurs des princesses en deuil,
Et plus haut que le bruit des peuples éphémères
Vous faites résonner le cri de votre orgueil.

« Et les hommes, au fond de leurs villes lointaines,
Troublés par la rumeur de vos chars merveilleux,
Vous prêteront, muets, des paroles hautaines,
Castrats, vous salueront comme de grands aïeux.

« Allez ! moi seul, j’ai vu vos mauvaises épées ;
Seul je sais le secret de votre cœur banal.
Mais je veux être aussi pour les foules trompées
Complice de l’aurore et du vent matinal.

« Je veux laisser en paix la splendeur des mensonges
Éclore sous les pieds de vos chevaux impurs ;
Car vous êtes élus pour passer dans les songes,
Car le destin vous livre aux aèdes futurs.