Page:Œuvres de Bacon, II.djvu/279

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éparses et incohérentes, il peut s’y arrêter et n’être pas tenté de s’élever plus haut, mais, lorsqu’il considère la chaîne indissoluble qui lie ensemble toutes ces causes, leur mutuelle dépendance, et, s’il est permis de s’exprimer ainsi, leur étroite confédération, alors il s’élève à la connaissance du grand Être qui, étant lui-même le vrai lien de toutes les parties de l’univers, à formé ce vaste système et le maintient par sa providence L’absurdité même des opinions de la secte la plus suspecte d’athéisme est la meilleure démonstration de l’existence d’un Dieu, je veux parler de l’école de Leucippe, de Démocrite et d’Épicure, car il me paraît moins absurde de penser que quatre éléments variables, avec une cinquième essence, immuable, convenablement placée et de toute éternité, puissent se passer d’un Dieu, que d’imaginer qu’un nombre infini d’atomes ou d’éléments infiniment petits et n’ayant aucun centre déterminé vers lequel ils puissent tendre, aient pu par leur concours fortuit, et sans la direction d’une suprême intelligence, produire cet ordre admirable que nous voyons dans l’univers. Nous trouvons dans l’Écriture-Sainte ces paroles si connues « L’insensé a dit dans son cœur il n’est point de Dieu ». Remarquez qu’elle ne dit pas qu’il le pense, mais seulement qu’il se le dit à lui-même, plutôt comme une chose qu’il souhaite et qu’il tâche de se faire accroire, que comme une chose dont il soit intimement persuadé. Les seuls hommes qui osent nier l’existence de Dieu sont ceux qui croient avoir intérêt à sa non-existence, et ce qui prouve bien que l’athéisme est plus sur les lèvres qu’au fond du cœur, c’est de voir que les athées aiment tant à parler de leur opinion comme s’ils cherchaient à s’appuyer de l’approbation des autres pour s’y fortifier. On en voit même qui veulent se faire des prosélytes, et qui prêchent leur opinion avec autant d’enthousiasme et de fanatisme que des sectaires, en un mot l’athéisme à ses missionnaires ainsi que la religion, que dis-je ? Il a même ses martyrs, qui aiment mieux subir le plus affreux supplice que de se rétracter. S’ils étaient vraiment persuadés que Dieu n’existe point, son existence une fois niée, tout serait fini, et ils n’auraient plus rien à dire, à quoi bon se tourmenter ainsi pour cette opinion négative ? On a prétendu qu’Épicure dissimulait sa véritable opinion sur ce point, que, pour mettre en sûreté sa réputation et sa personne, il affirmait publiquement qu’il existait des êtres parfaitement heureux et jouissant tellement d’eux-mêmes qu’ils ne daignaient pas se mêler du gouvernement de ce monde inférieur, mais qu’au fond il ne croyait point du tout à l’existence de la divinité, et ne parlait ainsi que pour s’accommoder au temps Mais cette accusation nous paraît d’autant plus