Page:Œuvres de Blaise Pascal, XI.djvu/275

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l’œil, quoy qu’il soit parfaitement sain, ne peut voir s’il n’est secouru de la lumière, ainsi l’homme quoy qu’il soit parfaitement justifié, ne peut vivre dans la pieté, s’il n’est assisté divinement par la lumière éternelle de la justice.

Et néanmoins, comme on ne laisse pas de dire que l’œil, quand il est sain, a le pouvoir de voir, en ne considérant que cette faculté en elle-mesme, parce qu’il n’a pas besoin de plus de santé pour voir, mais seulement de la lumière extérieure : de mesme on peut dire de lame quand elle est justifiée qu’elle a le pouvoir d’aimer Dieu, en ne la considérant qu’en elle-mesme, parce que, comme dit St Thomas, elle n’a pas besoin de plus de justice pour aimer Dieu, mais seulement des secours actuels[1].

Mais il est nécessaire que ces secours actuels soient tels que la délectation de la charité surmonte celle du péché, puisqu’autrement la mauvaise délectation subsiste sans estre vaincue, et tente toujours celuy qu’elle tient esclave, puisqu’on est asservi à celuy par qui on a esté vaincu, car certainement nous serons toujours vaincus, si nous ne sommes tellement aidez de Dieu, que non seulement nous connoissions nostre devoir, mais encore que l’âme estant guérie, vainque et surmonte en nous la délectation des choses, dont le désir de les posse-

  1. Le texte de St Augustin, traduit par Pascal, se trouve cité dans la Summa Theologica, deuxième partie, I, qu.CIX, à l’article IX. St Thomas discute dans l’article III de la môme question CIX : Utrum homo possit diligere Deum super omnia, ex solis naturalibas sine gratia.