Page:Œuvres de Spinoza, trad. Appuhn, tome I.djvu/228

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pas que cette lacune pût compromettre la solidité de son œuvre. Ce qui est essentiel, c’est que la possibilité de la science soit établie ; quant aux moyens par lesquels elle se constituera, cela est relativement secondaire.

A la différence de Descartes, Spinoza est moraliste et non physicien. Les diverses sciences énumérées au début du Traite de la Réforme de l’Entendement ont leur place dans la vie humaine, telle qu’il la conçoit ; elles ne sont cependant pas une chose de première nécessité : l’homme peut parvenir à la liberté par la réflexion seule, pourvu qu’il sache que rien en lui ni hors de lui n’est inintelligible, et il est possible à cette même condition de déterminer dialectiquement les institutions qui conviennent à la cité. Ainsi le règlement, selon la droite raison, des choses humaines, et le salut de l’individu n’exigent pas la constitution préalable d’une science de la Nature considérée dans la multiplicité de ses modes.

A la raison par laquelle Lagneau explique l’état d’inachèvement du Traité de la Réforme de l’Entendement, il faut donc ajouter celle-ci : Spinoza avait une autre et plus pressante besogne à accomplir, une besogne qu’il pouvait faire avant de reprendre le premier et qui importait davantage. Il avait à écrire le Traité Théologico-Politique et à prouver, contre toutes les églises, contre toutes les sectes (celle des collégiants exceptée) que l’Etat peut et doit être entièrement laïque, laisser à l’individu l’entière liberté de ses pensées philosophiques et religieuses, et ne permettre à aucune autorité religieuse de s’imposer par la force. Il avait à composer le Traité Politique et n’a pu aller au delà du onzième chapitre. Par-dessus tout, il avait