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THÉOLOGICO-POLITIQUE.

Je puis également établir par l’Écriture sainte que les cérémonies ne sont d’aucun usage pour la vraie béatitude, et ne regardent que la prospérité temporelle de l’empire. L’Écriture, en effet, ne promet pour prix de l’exacte observation des cérémonies que des avantages et des plaisirs tout corporels ; la loi divine seule, la loi universelle, donne la béatitude. Qu’on parcoure les cinq livres communément appelés livres de Moïse, on n’y trouvera d’autre récompense promise que la félicité temporelle : les honneurs, la renommée, la victoire, les richesses, les plaisirs, la santé. Je sais que ces cinq livres contiennent, outre les cérémonies, plusieurs préceptes de morale ; mais aucun de ces préceptes n’a le caractère d’une prescription universelle. Ce sont des règles de conduite mises à la portée des Hébreux et particulièrement appropriées à leur génie, qui n’ont par conséquent rapport qu’à la prospérité de l’empire. Par exemple, ce n’est point à titre de docteur ni de prophète que Moïse ordonne aux Juifs de ne point tuer, de ne point voler ; c’est à titre de législateur et de souverain. En effet, il ne se fonde point sur la raison pour imposer de tels commandements, mais bien sur les peines attachées à la désobéissance ; or ces peines peuvent et doivent même varier suivant le génie de chaque peuple, comme l’expérience nous l’enseigne très-clairement. Pour prendre un cas particulier, je dis que Moïse, en défendant l’adultère, n’avait en vue que l’intérêt de l’État ; car s’il avait voulu imposer une prescription morale qui n’eût pas seulement rapport à l’intérêt de l’État, mais aussi à la tranquillité et à la vraie béatitude des âmes, alors, au lieu de condamner seulement l’action extérieure, il aurait condamné en même temps le consentement intérieur de l’âme, comme fit plus tard Jésus-Christ, qui n’enseigna autre chose que des principes universels de morale (voyez Matthieu, chap. v, vers. 23) et promit à ses élus un prix spirituel, bien différent des récompenses toutes corporelles de Moïse. Jésus-Christ, je le répète, eut pour