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Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/19

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XVIII
la vie de spinoza.

l’arrachât de sa maison après l’avoir forcée et peut-être pillée ; mais Spinoza le rassura et le consola le mieux qu’il fut possible. « Ne craignez rien, lui dit-il, à mon égard ; il m’est aisé de me justifier : assez de gens, et des principaux du pays, savent bien ce qui m’a engagé à faire ce voyage. Mais, quoi qu’il en soit, aussitôt que la populace fera le moindre bruit à votre porte, je sortirai et irai droit à eux, quand ils devraient me faire le même traitement qu’ils ont fait aux pauvres messieurs de Witt. Je suis bon républicain, et n’ai jamais eu en vue que la gloire et l’avantage de l’État. »

Ce fut en cette même année que l’électeur palatin Charles-Louis, de glorieuse mémoire, informé de la capacité de ce grand philosophe, voulut l’attirer à Heidelberg pour y enseigner la philosophie, n’ayant sans doute aucune connaissance du venin qu’il tenait encore caché dans son sein et qui dans la suite se manifesta plus ouvertement. Son Altesse électorale donna ordre au célèbre docteur Fabricius, bon philosophe et l’un de ses conseillers, d’en faire la proposition à Spinoza. Il lui offrait, au nom de son prince, avec la chaire de philosophie, une liberté très-étendue de raisonner suivant ses principes, comme il jugerait le plus à propos, cum amplissima philosophandi libertate. Mais à cette offre on avait joint une condition qui n’accommodait nullement Spinoza : car quelque étendue que fût la liberté qu’on lui accordait, il ne devait aucunement s’en servir au préjudice de la religion établie par les lois. Et c’est ce qui paraît par la lettre du docteur Fabricius, datée de Heidelberg, du 16 février (voyez Spinozæ Oper. posth., Epist. 53, pag. 561). On trouve dans cette lettre qu’il y est régalé du titre de philosophe très-célèbre et de génie transcendant : philosophe acutissime ac celeberrime.

C’était là une mine qu’il éventa aisément, s’il m’est permis d’user de cette expression ; il vit la difficulté, ou plutôt l’impossibilité où il était de raisonner suivant ses principes, et de ne rien avancer en même temps qui fût contraire à la religion établie. Il fit réponse à M. Fabricius, le 30 mars 1673, et refusa civilement la chaire de philosophie qu’il lui offrait. Il lui manda que « l’instruction de la jeunesse serait un obstacle à ses propres études, et que jamais il n’avait eu la pensée d’embrasser une semblable profession. » Mais ceci n’est qu’un prétexte, et il découvre assez ce qu’il a dans l’âme par les paroles suivantes : « De plus,