Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/298

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hommes pour des enseignements divins, et abuser de l’autorité de L’Écriture. Qui ne voit que c’est là la source de ces opinions si nombreuses et si diverses que les sectaires enseignent comme des articles de foi et qu’ils s’attachent à confirmer par de nombreux passages de l’Écriture, d’où est venu chez les Hollandais ce vieux proverbe : Geen ketter sonder letter[1] ? Car les livres sacrés n’ont pas été écrits par un seul homme, et pour un peuple d’une seule et même époque ; plusieurs hommes de différents génies et de divers âges y ont mis la main, à ce point qu’à embrasser toute la période que renferme l’Écriture on compterait presque deux mille ans et peut-être beaucoup plus. Nous ne voulons pas cependant accuser ces sectaires d’impiété parce qu’ils approprient à leurs opinions les paroles de l’Écriture ; car, de même qu’elle fut mise autrefois à la portée du peuple, de même chacun peut l’approprier à ses opinions, s’il voit que par ce moyen il obéit plus cordialement à Dieu en tout ce qui regarde la justice et la charité. Mais c’est pour cela que nous leur reprochons de ne vouloir pas accorder aux autres la même liberté, de persécuter comme ennemis de Dieu, malgré leur parfaite honnêteté et leur obéissance à la vraie vertu, tous ceux qui ne partagent pas leur opinion, et d’exalter, au contraire, comme les élus de Dieu, malgré l’impuissance de leur esprit, tous ceux qui se rangent à leur manière de voir. Et certes on ne saurait imaginer de conduite plus coupable et plus funeste à l’État. Afin donc de savoir clairement jusqu’où s’étend, en matière de foi, la liberté d’esprit de chacun, et quels sont ceux qu’en dépit de la variété de leurs sentiments nous devons regarder comme fidèles, déterminons la nature de la foi et ses fondements : c’est ce que je me propose de faire dans ce chapitre, et en même temps je veux arriver à séparer la foi de la philosophie, objet principal de tout cet ouvrage. Pour

  1. Ce qui signifie littéralement : point d’hérétique sans lettre, c’est-à-dire : point d’hérétique qui ne s’appuie d’un texte de l’Écriture.